La Chasse

La Chasse

Le service “Le Deyeux”

Le service Le Deyeux, couramment dénommé “service chasse” a été conçu par Maurice Moisand, peintre animalier. Gaëtan Moisand, qui a pris la tête des Faïenceries de Longchamp en 1911 a sans doute voulu marquer son arrivée, en faisant rapidement appel à son lointain cousin Maurice, pour réaliser un service de prestige. Maurice Moisand qui a illustré de nombreuses affiches et ouvrages, avait une réputation déjà bien établie . On peut donc penser que ce service a vu le jour juste avant la Grande Guerre dans les années 1911-1914. La forme Art nouveau est très originale et, fait exceptionnel,  restera dédiée à ce décor.

Preuve de l’importance qu’a dû attacher Gaëtan à la réussite commerciale du service Le Deyeux, son lancement a fait l’objet d’une présentation soignée sous forme d’un 4 pages illustré de photos, procédé assez rare pour l’époque : 

 

 


 Cette présentation du service évoque « une série de petits tableaux de chasse suivant les légendes de Le Deyeux ». En fait de légendes, ce sont plutôt d’aphorismes dont il s’agit. En effet, la petite « phrase » de la première page de ce « prospectus » comme celles que l’on retrouve sur les assiettes du service sont extraites d’un livre de Théophile Deyeux, paru en 1841, les tablettes de Saint-Hubert, ses commandements, ses aphorismes, traduits par  Deyeux ». 

Ce ne fut pas une mince affaire de trouver l’origine des aphorismes du service. Le nom de celui-ci, Le Deyeux,  a fini par nous mettre sur la bonne voie, celle de Théophile Deyeux. Ce fut un grand plaisir de découvrir son livre.

Reste une question : pourquoi « Le Deyeux » ? On peut supposer que ce petit livre a connu un immense succès auprès des chasseurs, succès qui perdurait encore au début du XXème siècle, au point qu’on le citait en disant « le » Deyeux en référence à la chasse. Ce n’est qu’une hypothèse, mais elle paraît assez réaliste.

 Les Tablettes de Saint-Hubert, ce n’est pas, bien sûr, de la haute littérature, mais Deyeux a le sens de la phrase concise et bien ciselée, le tout agrémenté d’un zeste d’humour qui rend la lecture de ses aphorismes tout à fait supportable même pour quelqu’un qui ne chasse pas. Quelques aphorismes vont même jusqu’à dépasser le strict cadre de la chasse pour atteindre des sommets quasi philosophiques !
(voir la signature M Moisand pour Maurice Moisand en bas à gauche)

A titre d’exemple :   

  • « Pointe la bécassine aussitôt son départ / Suis-la dans son zig-zag et tire un peu plus tard. »  
  • « Un seul mot pour le poil, heureux qui s’en souvient / Tirez haut ce qui fuit, tirez bas ce qui vient. »
  • « Il en est d’un fusil tout comme de son maître / Plus il va, mieux il vaut, tout le temps qu’il doit être. »
  • « Ah ! la moitié du temps, soyons de bonne foi / Qui frappe sur son chien devrait frapper sur soi. »
  • « Ne sois pas orgueilleux si le sort t’a fait roi /  Le plus maigre sujet, demain, ce sera toi. »
  • « Au-dessus des décrets de l’éducation / Il est un don du ciel, c’est l’inspiration. »

Ces quelques aphorismes et bien d’autres (il y en a 200 !)  figurent dans le livre de Théophile Deyeux sur le site de la BNF,  « Gallica ».

 

Le chic à cheval

Le chic à cheval

Il y a des gens qui aiment les chiens et qui en font la passion de leur vie, des vieilles filles qui s’enamourent de cacatoès au plumage aveuglant, des poètes comme Baudelaire chérissant les angoras fourrés. Moi, j’ai toujours eu pour le cheval un vaste et profond amour. 

Ainsi commence de façon exubérante “Le chic à cheval”, un livre dont le titre prête à sourire tant il a un charme suranné. Publié en 1891, cet ouvrage aux 300 gravures dont 50 en couleurs retrace l’histoire « pittoresque » du cheval et de l’équitation.

L’auteur ne se contente pas d’écrire le texte du livre, il en est également l’illustrateur. Louis Vallet, c’est son nom, est un aquarelliste qui se fera mieux connaître au début du XXème siècle par des dessins et aquarelles mettant en valeur la femme ; ses dessins, parfois coquins, seront publiés dans des revues telles que Frou Frou ou la Vie Parisienne.

Robert Charbonnier sur Boy au petit galop

Mais revenons au cheval : le vaste et profond amour que lui porte Louis Vallet, un autre homme le partage. Un homme dont nous connaissons déjà la passion pour le cheval et dont nous avons découvert dans un bulletin précédent sa passion pour le dessin et plus encore pour les dessins de chevaux. Un homme qui se représente volontiers à cheval dans ses propres dessins et qui se montre volontiers à cheval sur les photos prises par ses proches. Vous l’avez deviné, bien sûr, cet homme c’est Robert Charbonnier, aussi passionné par le cheval que l’était Louis Vallet. Dès lors, il paraît naturel que ces deux-là, vivant à la même époque, se soient rencontrés et se soient entendus au point de faire affaire. Robert a certainement consulté le livre de Louis Vallet dès sa parution et l’a même sans doute acheté. On peut penser que l’auteur est devenu un maître pour Robert et que ce dernier s’est inspiré des dessins du livre pour parfaire les siens.

Quelques temps plus tard après la parution du livre, en 1893 ou 1894, Robert prend l’initiative d’une rencontre que Louis Vallet accepte volontiers. Les deux hommes, passionnés de cheval et de dessin se comprennent tout de suite. Robert commence bien sûr l’entretien  par un éloge du livre et de son auteur. Il continue en évoquant son  rêve de créer un service de faïence dont le thème serait le cheval et ajoute qu’ il espère pouvoir réaliser ce rêve depuis qu’il a découvert le “Chic à cheval”. A condition bien sûr que son interlocuteur accepte de le suivre…

Louis Vallet n’hésite pas longtemps, la proposition lui plaît évidemment. Une fois conclu l’accord de principe, et au-delà des considérations financières qui ont eu bien sûr leur importance, les deux hommes, ce jour-là ou par la suite, continuent leur discussion pour choisir le thème des dessins de façon à donner une identité bien précise au service.

Le choix se porte sur La Guérinière. Un des chapitres du livre de Louis Vallet lui est consacré. Ce sera le nom du service, qui sera commercialisé à compter de 1895.

François Robichon de la Guérinière (1688-1751), après avoir obtenu son brevet d’écuyer du Roi, ouvre en 1715 une académie d’équitation, à l’emplacement de l’actuelle rue de Médicis au dos de la fontaine qui porte le même nom. C’est là qu’il va acquérir sa réputation de professeur hors pair. En 1730, il est nommé écuyer du manège royal des Tuileries.  Il écrit, en 1733,  l’ “Ecole de cavalerie” qui va devenir la bible de l’équitation pour tous les cavaliers de France et d’Europe.

Louis Vallet dans son livre écrit que la Guérinière « est le père de l’équitation actuelle. Tout ce qu’il a écrit est aussi vrai qu’il l’était de son temps ». On peut déduire de ces propos qu’au XIXème siècle, tout cavalier digne de ce nom, et notamment tout officier de cavalerie comme l’était Robert Charbonnier, a lu l’ “Ecole de cavalerie”. De là à penser que c’est ce dernier qui a été à l’initiative du choix du nom du service et du thème de celui-ci, il n’y a qu’un pas que l’on peut se permettre de franchir sans grand risque d’erreur.

On trouve peu de gravures dans le chapitre que Louis Vallet consacre à La Guérinière. Celle qui est présentée ici est la seule en couleurs.

Même si elle a quelques airs de ressemblance avec les dessins du service, Louis Vallet ne la reprend pas lorsqu’il exécute les dessins de celui-ci.  On pourrait donc affirmer que Louis Vallet a créé exclusivement des originaux pour le service de Longchamp. Mais il faut reconnaitre toutefois qu’il arrive à Louis Vallet de s’inspirer, de façon plus ou moins explicite, des gravures du livre de La Guérinière, dont l’auteur s’appelle Charles Parrocel.

Ainsi cette gravure du livre de La Guérinière qui représente une figure appelée la capriole.
« La capriole est le plus élevé et le plus parfait de tous les sauts. Lorsque le cheval est en l’air et dans une égale hauteur du devant et du derrière, il détache la ruade vivement, les jambes du derrière dans ce moment  sont l’une près de l’autre et il les allonge aussi loin qu’il lui est possible de les étendre. Les pieds de derrière dans cette action se lèvent à la hauteur de la croupe et souvent les jarrets craquent par la subite et violente extension de cette partie. Le terme de capriole est une expression italienne, que les écuyers napolitains ont donné à cet air, à cause de la ressemblance qu’il a avec celui du chevreuil, nommé en italien caprio”

Voici la capriole de Charles Parrocel (in « l’Ecole de Cavalerie » de La Guérinière)

… celle de Louis Vallet sur dessin aquarellé préparatoire pour le service de Longchamp

… et sur un plat long du service de la Faïencerie


Le dessin préparatoire présenté ci-dessus n’est pas le seul à être arrivé jusqu’à nous, il y en quelques autres que nous avons découverts récemment avec une extrême surprise.

Laissons le dernier mot à François Robichon de la Guérinière. Il semble l’avoir écrit spécialement pour commenter les superbes décors du service de Longchamp qui porte son nom :
« La grâce à cheval consiste en une posture bien droite et libre, qui vient du contrepoids du corps bien observé ; en sorte que, dans tous les mouvements que fait le cheval, le cavalier, sans déranger son assiette, conserve autant qu’il le peut un juste équilibre, cet air d’aisance et de liberté qui forme ce qu’on appelle le bel homme de cheval. »

Longchamp et les décors Moustiers

Longchamp et les décors Moustiers

Dans les inspirations de Longchamp, on peut citer surtout Clérissy, Bérain, et Olérys. Jacques Callot, graveur lorrain du XVII° siècle a été associé à cette série, essentiellement parce qu’un service à grotesques porte son nom.

Le premier service Moustiers

Les premières faïences de Moustiers chez Pierre Clérissy étaient décorées en camaïeu bleu à motifs de fleurons et de rinceaux. Les marlis étaient de guirlandes à fleurs de solanacées et personnages mythologiques. Il y a une certaine analogie avec Rouen que certains attribuent au rôle qu’aurait joué Jean Clérissy, frère de Pierre, curé en Normandie.

Le premier service du nom de Moustiers, créé à Longchamp au XIX° siècle, du temps de Robert Charbonnier, s’en inspire. Il sera ensuite abandonné mais on conservera le service « rouennais » qui a une facture assez proche.


Le Callot

Le décor caricatural, à grottesques désigne les décors de la Rome antique redécouverts dans les grottes de la Maison dorée de Néron à Rome, à la Renaissance. La bizarrerie des sujets représentés, hommes ou animaux, a conduit à l’appellation de grotesques qui s’applique à l’expression à la fois d’une imagination drolatique et moqueuse et d’une réalisation amusante : caricatures humaines sous forme de singes grimaçants et carnavalesques, ménestrels, hérons et ânes musiciens ou ailés, hommes difformes et bossus au nez boursouflé, fées enveloppées de capes, oiseaux à longues ailes sans corps, personnages d’époque etc…


Créé au XIX° siècle, le service Callot doit son nom à la reprise de certaines gravures de Jacques Callot, décorateur lorrain du XVII° siècle. Il s’inspire aussi des polychromes d’Olérys ou de Laugier. Les principaux éléments de décoration en sont repris: grotesques disposés au centre, sur des « terrasses fleuries », avec sur le pourtour de la pièce des « tertres » entre lesquels se répartissent plantes, fleurs, papillons et insectes.

Outre la qualité de la réalisation qui ne saurait rivaliser avec Moustiers, le service Callot ne présente qu’un personnage au centre, là où les Moustiers en présentent plusieurs sur une même pièce.

Il met en scène 4 personnages : les 2 premiers brandissant une arme et les 2 autres jouant d’instruments de musique. Ils sont tous assez singuliers, les premiers dansent ou se contorsionnent de façon quelque peu grotesque tout en semblant menacer un adversaire imaginaire avec leur arme. Le joueur de violon est un nain difforme, vêtu de façon plutôt ridicule avec notamment son drôle de chapeau. Quant à l’autre instrumentiste, c’est un âne !

Les services Moustiers du XX° siècle

Tout au long du XX° siècle, les services Moustiers de Longchamp ont décliné de façon assez proche, un personnage central.

Le premier de cette série date du début du XX° siècle. D’autres services par la suite et notamment ceux qu’Hélène Charbonnier Moisand réinterpréta dans les années 50 à partir des modèles anciens,  prirent le nom de décorateurs célèbres de Moustiers, comme Viry.





Si l’on rapproche ces différents décors du XXème siècle du Callot créé au XIXème, on est évidemment frappé par la proximité des styles. On peut donc affirmer sans risque d’erreur que le service Callot est l’ancêtre de tous les décors « Moustiers » de la Faïencerie de Longchamp.  Certes avec le temps, le décor s’apure : les tertres disparaissent, les feuillages et les fleurs se font plus parcimonieuses. Mais l’essentiel reste identique. On remarquera que les Moustiers de Longchamp reprennent le parti pris caractéristique du service Callot de ne présenter qu’un seul personnage sur chaque pièce. Alors que les décors à grotesque de Moustiers présentent de façon quasi systématique 2 ou 3 grotesques sur chaque pièce, voire plus encore.

Le service Olérys

A la différence du Callot, le décor Olérys de Longchamp présente systématiquement deux personnages au centre, une sorte de couple avec un homme s’avançant vers une caricature de femme évoquée par son ombrelle. On y retrouve le gros papillon et des rinceaux et feuillages. Il est traité en ocre jaune.
La consécration de ce décor fut, une fois de plus, sa production en porcelaine de Longchamp, ce qui accentua la finesse du trait et la luminosité des pigments.

Le Bérain

« Le décor ” à la Berain ” s’inspire des dessins de Jean Berain, ornemaniste de Louis XIV. Autour d’un sujet central, généralement un personnage mythologique, s’articule un réseau d’arabesques parfaitement symétrique, enrichi d’éléments architecturaux, de cariatides, de bustes et d’animaux fantastiques.

Comme ce superbe plat exposé au musée de Marseille, le plus souvent, ce décor est en camaïeu bleu. Moustiers a produit des décors ” à la Bérain ” pendant toute la première moitié du XVIIIe siècle, d’abord chez Clérissy. Il a été traité à Moustiers très majoritairement en camaïeu bleu, rarement en polychromie, et exceptionnellement en camaïeu jaune ». [Académie de Moustiers]. Berain emprunte également quelques petites figures à la Callot qu’il place dans cet enchevêtrement de rinceaux.

Le service Bérain de Longchamp sera créé tardivement, dans les années 1960 par Paule Moisand, épouse d’Henry et son gendre Jean Duminy, architecte et peintre, tous deux inconditionnels de la Provence. Ce service sera un des fleurons de la porcelaine de Longchamp mise au point à la même époque.

Voir sur le site www.académie-de-moustiers un résumé illustré des principaux décorsdes vieux Moustiers : https://www.academie-de-moustiers.com/les-decors-principaux.html