Henry Moisand
Né le 25 juillet 1909, Henry Moisand fut chef d’entreprise, notable et père de famille nombreuse. Ce fut aussi un chrétien, tant dans ses convictions que dans la pratique de ses différentes fonctions. Ce qui constitue un homme va bien au-delà des qualificatifs qui cherchent à le décrire. Une vie est un itinéraire et celui d’Henry Moisand est marqué par la rectitude, l’espérance et un dynamisme éclairé, doublé d’une persévérance sans faille.
Chef d’entreprise, il dirigea les Faïenceries de Longchamp, comme directeur général puis comme président directeur général de 1945 à 1977, auxquelles se rattachèrent à partir de 1953 les Faïenceries de Casamène. Il endossera de nombreuses responsabilités professionnelles, de la chambre syndicale de la céramique à l’institut de la céramique française de Sèvres. Il créera le comité national des arts français de la table et présidera la commanderie des cordons bleus de France.
Élu local, il sera maire de Longchamp pendant trente ans, de 1947 à 1977, suivant en cela l’exemple de son père, de son oncle et de son grand-père, puis président du SIVOM de Genlis. Européen convaincu, il initiera le jumelage de Longchamp avec Laubenheim, une commune située dans le Land de Rhénanie-Palatinat. Profondément concerné par la position de la France dans le monde, il se battra pour développer les exportations des professionnels français des arts de la table, établissant une antenne à New-York, créant une faïencerie au Mexique et devenant président du comité des conseillers du commerce extérieur de Bourgogne.
Enfin, soucieux de l’avenir des jeunes, il se battra sans cesse de 1945 à 1975 pour que le centre d’apprentissage créé après-guerre avec son frère Robert devienne un lycée professionnel lequel deviendra le Lycée Henry Moisand.
Homme de pouvoir économique, politique, Henry Moisand, qui coordonna bon nombre des activités du village, s’inscrit dans une lignée familiale, transmettant un héritage de savoirs, de valeurs et de convictions, qu’il incarna avec autorité tout au long de son existence.
Chronologie
- Henry Marie Antoine Moisand
- Né le 25 juillet 1909 à Longchamp
- De Hélène Moisand, née Charbonnier
- Et Gaëtan Moisand, avocat à la Cour d’appel de Paris
- Études jusqu’en 1928 auprès des pères jésuites de Dole – Mont-Roland
- 1928 Baccalauréat latin-grec philosophie, reçu avec mention
- 1928 Études de droit à Paris
- 15-10-1930 Incorporé au 27° R.I. et service militaire, sorti avec le grade de sous-Lieutenant
- 20-9-1931 Entrée aux Faïenceries de Longchamp à 22 ans, il les quittera le 30-12-1974 à l’âge de 65 ans.
- 1-10-1931 Directeur du Personnel
- 1-04-1933 Directeur Technique jusqu’à la « drôle de guerre » en 39/40
- 1939-1940 Sert au 27°R.I., démobilisé avec le grade de Lieutenant et la croix de guerre (J.O. du 1-6-1944)
- Du 1-01-1942 au 16-6-1966 Directeur Général, puis P-DG des Faïenceries de Longchamp, incluant, à compter du 31-12-1953 les Faïenceries de Casamène (à côté de Besançon)
Responsabilités locales
- De 1947 à 1977 Maire de Longchamp (5 mandats de 6 ans)
- 1971 Président fondateur du SIVOM de Genlis
Responsabilités professionnelles
- Union Faïencière (organisme de vente et de recouvrement des Faïenceries françaises)
- Administrateur depuis 1946, du 15-11-1962 au 16-6-1977, président-directeur général
- Chambre syndicale de la céramique
- Du 1-01-1942 au 20-03-1969, administrateur, du 20-03-1969 à 1982, président (renouvelé tous les deux ans depuis 1969)
- Institut de la céramique française de Sèvres
- Depuis juillet 1969, administrateur, du 1-07-1976, président
- Confédération des industries céramiques de France
- Depuis juillet 1969, vice-président du Bureau et du comité de direction
- Comité national des Arts français de la table (cristalliers, porcelainiers, orfèvres, faïenciers)
- Janvier 1966, Président Fondateur, 1982, Président en exercice
- G.I.E. « Centre international des Arts de la table » Fondateur
- Depuis 1963, Conseiller de l’Enseignement technologique
- Comité régional des conseillers du commerce extérieur de la région Bourgogne
- Conseiller depuis 1968, Président depuis 1974.
- École nationale de la céramique industrielle (école décentralisée à Limoges depuis la rentrée scolaire 1979), administrateur puis vice-président depuis le 1-07-1976.
- Commanderie des Cordons bleus de France (créée par Gaston-Gérard en 1949 et chargée notamment de préparer et de convoquer tous les ans à Dijon les États généraux de la gastronomie française),
- Depuis 1949, Commandeur fondateur, depuis 1966, membre du conseil, depuis juin 1969, président.
Citations
- Croix de guerre 39-40 (1-06-1944)
- Médaille de bronze de l’Éducation nationale (28-06-1954)
- Médaille d’argent de l’Éducation nationale (22-03-1963)
- Chevalier du Mérite social – ministère du Travail (30-12-1954)
- Médaille du Travail d’argent (31-07-1959)
- Médaille du Travail de vermeil (26-07-1973)
- Médaille du Travail d’or (18-01-1978)
- Chevalier de l’Ordre du Saint-Sépulcre de Jérusalem (8-03-1977)
Biographie
La famille
Aîné d’une fratrie de huit enfants, Henry Moisand est le fils d’Hélène Charbonnier-Moisand et de Gaëtan Moisand, et le petit-fils de Robert Charbonnier, fondateur des Faïenceries de Longchamp, l’entreprise familiale, et grand chasseur devant l’Éternel. À sa naissance, son père le surnomma « le Dauphin ». Ou le « roi de Rome», ce qui est moins prometteur.

Henriette et Hélène au piano, vues par leur père (RC)
En 1909, quatre ans après la mort du fondateur, Édouard, frère d’Hélène, pressenti par son père pour prendre sa succession à la tête de l’entreprise, est écarté. Après quelques années tumultueuses, Caroline, leur mère, décide finalement d’en donner le contrôle à ses gendres, Gaëtan et Marcel Joran (époux de Juliette, Henriette étant célibataire). Hélène, épouse de Gaëtan, était à la manœuvre… Gaëtan, forte personnalité, avocat brillant, secrétaire de la Conférence à vingt-cinq ans, prix Paillet à vingt-six, est aussi un bon vivant, catholique engagé et très introduit dans les milieux parisiens de l’époque. Il met son talent, entre les deux guerres, au service des Faïenceries de Longchamp pour en assurer le rayonnement. C’est lui qui établira le lien entre l’entreprise et les grands acheteurs parisiens. Hélène, quant à elle, tiendra un rôle important tant à l’usine que dans la vie sociale locale. Son portrait sur l’un des vitraux de la villa familiale nous renvoie l’image d’une femme altière, volontaire, d’une beauté un peu sévère. Elle est née à Longchamp et y a grandi mais ce n’est pas tout à fait une provinciale. En effet, le reste de sa famille est parisienne.
Passionnée de musique, elle enseigne le piano à ses filles, tandis que les garçons poursuivent leurs études à l’internat de Mont-Roland. Elle tient l’harmonium, dirige la chorale, enseigne le catéchisme et participe à l’organisation des fêtes religieuses de la paroisse. À ces activités traditionnelles pour une femme de son époque et de son milieu social s’ajoute le rôle qu’elle tient à l’usine. Non seulement elle dessine, elle crée, prenant le nom d’artiste d’Ellen, mode anglophile oblige, mais elle dirige aussi l’atelier de décoration et préside, après 1945, le conseil d’administration, et ce jusqu’à sa mort en 1964. Une grande partie des femmes du village travaillant alors aux Faïenceries, Hélène est au courant de tout, ou presque, et peut ainsi porter assistance aux uns et aux autres. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle tient tête aux occupants et maintient l’activité industrielle, autant que faire se peut. Elle sera même arrêtée, mais presque aussitôt relâchée, grâce à l’intervention du chanoine Kir. À Longchamp, on la surnomme la Reine. Elle règne sur l’usine, le village et les œuvres de la paroisse, une omniprésence discrète difficile à imaginer aujourd’hui.
Les années de formation
Henry Moisand quitte la maison familiale pour poursuivre ses études secondaires au collège Notre-Dame de Mont-Roland, à Dole, établissement fondé par quatre jésuites en 1582, passé sous l’autorité de l’université sous Charles X, un décret interdisant l’enseignement aux Jésuites, puis transformé en noviciat pendant quelques années. L’institution retrouve sa vocation première, après le vote de la loi Falloux, en 1852 et sera tenu par l’ordre jusqu’en 1961. Dans ce genre d’institution cohabitent deux catégories principales d’élèves : les intégrés et les rétifs. Henry Moisand fait incontestablement partie des intégrés. La discipline lui convient, il trouve du grain à moudre dans l’enseignement. Bref, il n’est pas du genre à faire le mur. D’autres membres de la famille y furent moins heureux.
Servatum servabit, autrement dit « ce qui fut conservé le restera », était la devise inscrite au pied d’une statue dans la cour de Mont-Roland. Peut-être Henry Moisand l’a-t-il gardée en mémoire quand il rédige, bien plus tard, un discours où il évoque la qualité française, «sûre de conserver ce qu’elle possède de miraculeusement éprouvé ».
Le baccalauréat en poche, il se rend à Paris, où il entreprend des études de droit en 1928. De sa vie à cette époque nous ne savons pas grand-chose. Les archives familiales sont muettes. Sans doute sera-t-il moins attaché à la vie parisienne que ne l’avait été son père.
En 1930, il fait son service militaire au 27e R.I., dont il sortira sous-lieutenant.
C’est en octobre 1931 qu’il entre à l’usine, à vingt-deux ans, d’abord comme directeur du personnel, puis comme directeur technique jusqu’à la drôle de guerre, période pendant laquelle il est mobilisé et sert toujours au 27e R.I. Lors de sa démobilisation, il aura le grade lieutenant.
En 1929, il épouse Paule Bernard. La veille de son mariage, alors qu’il chasse dans les environs de Longchamp, le chauffeur de la famille vient le chercher. Hé, m’sieur Henry, lui dit-il. Maintenant, changement de sport, chasse à la bécasse ! L’histoire ne dit pas ce qu’en pensa la bécasse.
Le couple aura sept enfants, et les quatre premiers, nés avant guerre, éviteront à Henry le STO.
Le chef d’entreprise
En 1942, Henry Moisand prend la direction générale des Faïenceries de Longchamp, son frère Robert en occupant la direction technique en 1945. Il doit, alors que le pays est occupé par les Allemands, assurer l’emploi de quatre cents employés et trouver les matières premières, et notamment du charbon, indispensable au fonctionnement des fours. L’approvisionnement étant réduit, il choisit de privilégier les productions exigeant de la main-d’œuvre et peu de combustible. Il parviendra à maintenir 70% de l’activité en ces temps troublés, sans un jour de chômage, sans un ouvrier déporté au STO. La clientèle française sera livrée, tandis que l’on trouve toujours d’excellentes raisons logistiques de ne pas effectuer les livraisons à destination de l’Allemagne, ou de les retarder. Il est si difficile de trouver le bon wagon en gare de Genlis …
Avant même la signature de l’armistice, un plan de modernisation de l’usine est engagé. De 1942 à 1974, date de son départ à la retraite, Henry Moisand dirigera les Faïenceries de Longchamp en suivant trois lignes directrices, qui marqueront son empreinte : la qualité, avec pour corollaire l’importance accordée à l’innovation, le souci des hommes et des femmes qui collaborent à la production et la formation des jeunes générations.
Dans ses discours, Henry Moisand insiste sur la nécessité de produire des objets de qualité. Qualité des matières, qualité des décors, qualité environnementale pour satisfaire aux exigences de l’export (suppression des oxydes de plomb), procurer à la fois beauté, conformité et solidité. Il s’inquiètera même, dans les années soixante-dix de la résistance des décors à la généralisation des lave-vaisselles et à la puissance des détersifs. Avec son frère Robert, directeur technique, s’engage un dialogue fructueux pour sélectionner les innovations utiles. Pour ce faire, ils prêtent une attention constante à la sélection des matières premières et à la précision des fours, remplaçant le charbon par le gaz, comme leur père avait substitué la houille au bois, et aux progrès techniques. Ainsi seront progressivement introduits l’automatisation des tâches, les centres d’usinage, de nouveaux empilages réfractaires, les commandes numériques et la robotique. À ce titre, l’usine de Casamène, dirigée par Marcel, devient un petit bijou technologique, à la pointe de l’innovation dans les carrelages. Quant à la vaisselle, même si la décoration à la main doit laisser peu à peu la place à une certaine automatisation des décors – après les pochoirs, les chromos – la beauté demeure un objectif en soi. C’est la raison pour laquelle, de véritables artistes enrichissent les collections, tout en suivant l’évolution des goûts et des techniques. Ainsi Robert Picault, dont la renommée à Vallauris n’était plus à faire, occupa-t-il pendant des années la fonction de directeur artistique à Longchamp comme à Casamène. Pour Henry Moisand, à l’utile doit toujours se joindre l’esthétique. Et l’esthétique réside dans l’harmonie et dans le respect des lignes, ce qui n’exclut ni la fantaisie, ni l’audace. Ce point de vue, il saura le défendre dans les différentes instances veillant aux destinées de la faïence et des arts de la table, dont il sera parfois le fondateur et souvent le président.
Si les objets de la vie courante doivent être à la fois beaux et pratiques, il en va de même du site industriel, des ateliers et des différents lieux de vie des employés. Dans ce domaine, Henry Moisand reproduit, dans une moindre mesure, la gestion paternaliste qu’avaient adoptées avant lui son grand-père puis son père. Lutter contre la maladie par le biais d’une société de secours mutuel, contre les taudis par le développement des cités ouvrières, contre le gaspillage par l’école ménagère qui enseigne aux jeunes filles l’économie domestique, contre l’ennui par les patronages, les jeux en commun, les comédies, le cinéma, tel était le credo de Gaëtan Moisand, dans la droite ligne de l’encyclique Rerum novarum et des principes du catholicisme social, sans aller pour autant jusqu’à donner voix au chapitre aux ouvriers. Comme si l’instance de concertation se trouvait au conseil municipal, depuis Robert Charbonnier :

Conseil municipal mars 1905 (RC)
Après 1936 et l’avènement du Front populaire, l’État prend en charge bon nombre des préoccupations que les entreprises les plus socialement avancées, avaient jusque-là assumées. Il en va ainsi de la maladie, du chômage et de la retraite. La société de secours mutuel n’a plus de raison d’être. Les cités ouvrières étaient déjà construites. En revanche, on assiste à un transfert de certains progrès sociaux vers l’État après 1945, spécialement à Longchamp, grâce à la cohérence entre la commune et l’entreprise, toutes deux dirigées par Henry Moisand : des colonies de vacances, une école de filles, des logements HLM, des terrains de sport, des infrastructures (gaz naturel, château d’eau et eau courante, tout à l’égout, électricité, routes, trottoirs) et enfin le centre d’apprentissage. Cette politique sociale de l’après-guerre 14, Henry Moisand eut toujours à l’esprit de la prolonger. Très sensible au courant gaulliste de la participation, nul doute qu’il aurait avancé dans cette direction, s’il avait eu les coudées franches au niveau du capital, réparti entre ses frères et sœurs. Soucieux du bien-être de chacun, il écrivait :
L’ouvrier doit être fier de son usine, fier d’y travailler. À l’intérieur, l’emploi de couleurs claires transforme la vie de chacun. La qualité s’améliore, lorsque chacun prend conscience de sa dignité, de sa fierté de travailler au succès d’une marque, d’une entreprise à laquelle il collabore.
Enfin, troisième ligne directrice de son action, la formation des jeunes se concrétise, dès 1945, par la création du centre d’apprentissage de la céramique, disposant d’un internat, qui deviendra le lycée portant aujourd’hui son nom, même s’il avait souhaité le dédier à André Kayser, son directeur, en récompense de son engagement. Il ne s’agit pas seulement de former une future main-d’œuvre à des techniques nouvelles, que les anciens ne parviennent pas toujours à acquérir, il s’agit aussi d’éduquer dans le sens le plus large du terme. Ce qui semblait relever du bon sens devint le combat de sa vie. Habitué aux horizons larges et aux échanges fructueux, le voilà suspecté de calcul et d’intérêt particulier. Un interlocuteur, fonctionnaire, lui dira un jour : Vous voulez fabriquer des esclaves !, voilà où en était la mentalité vis-à-vis du travail manuel à l’époque. Presque 30 ans lui furent nécessaires pour que le centre d’apprentissage rejoigne l’Éducation Nationale. Aujourd’hui, en 2020, l’apprentissage et l’innovation reviennent en force…
Le souci de la jeunesse apparaît sans cesse dans ses écrits et dans ses discours, où il s’inquiète des goûts nouveaux, des loisirs et même de ce qu’il nomme les conceptions budgétaires des jeunes ménages, en s’efforçant de faire un pas vers une modernité qui l’obsède et l’intrigue parfois, tout en restant attaché à une tradition qui l’avait beaucoup guidé dans ses choix. Les jeunes, ce sont les futurs collaborateurs, les futurs clients et les inventeurs de demain.
Même pendant les Trente Glorieuses, La fonction de chef d’entreprise n’est pas chose aisée, surtout dans les industries de main-d’œuvre, soumises à des charges de plus en plus lourdes, tandis que se réduisent leurs marges bénéficiaires. Henry Moisand ne cessera de plaider leur cause auprès des politiques, sans être véritablement entendu. Et puis il faut aussi rendre des comptes et satisfaire des actionnaires, plus sensibles au montant de leurs dividendes qu’aux problèmes multiples et récurrents d’une activité en déclin, qui doit dans le même temps s’adapter aux exigences du commerce international, aux avancées techniques et à l’évolution des mentalités. Parfois, le conseil d’administration ressemblait à un tribunal de famille, on l’a vu en sortir au bord des larmes, crucifié par l’attitude de ses proches.
L’élu local et le patron
Cinq ans après avoir pris la tête de la Société anonyme des Faïenceries de Longchamp, Henry Moisand devient le maire de Longchamp. Comme son père et son grand-père avant lui, il, exerce donc des fonctions publiques, non pour atteindre à l’immortalité cantonale, mais pour créer une synergie entre ses fonctions de chef d’entreprise et celle d’élu. Il ne s’engagera jamais en politique au-delà de ce mandat et refusera la Légion d’honneur, et même la candidature aux élections législatives. L’obsession de garder les mains libres pour ses projets le détournait de s’engager dans des compromissions ou des « cadeaux », qui se payaient d’exigences de réciprocité. En revanche, c’est en se présentant comme maire de Longchamp qu’il plaidera la cause des industries de main d’œuvre, en 1966 auprès d’Edgar Faure, alors ministre de l’Agriculture, lors d’un dîner au Clos-Vougeot, puis en 1973 auprès de Valéry Giscard d’Estaing. En 1971, il fonde le SIVOM de Genlis, dont il prendra la présidence. Enfin européen convaincu, il entreprendra avec le maire de Laubenheim, de créer un jumelage entre les deux communes et de tisser entre leurs administrés des liens sur le plan « social, culturel et moral », comme il le dit lui-même dans l’un de ses discours. C’est aussi dans le dessein d’établir une dynamique constructive qu’Henry Moisand collectionne les présidences. Administrateur, fondateur, président, quel que soit le titre, il cumule les fonctions. Dès 1946, il est administrateur de l’Union faïencière, organisme de vente et de recouvrement des faïenceries françaises, dont il devient président-directeur général en 1962. En 1969, il est administrateur de l’Institut de la céramique française de Sèvres, dont il prendra la présidence en 1976. Comité national des Arts français de la table, président fondateur, G.I.E. Centre international des Arts de la table, fondateur, Commanderie des Cordons bleus de France, commandeur fondateur depuis 1949, et la liste n’est pas exhaustive. Boulimie ? Sans doute. Il lui est difficile de participer à une instance sans en être président. Il veut avoir toutes les cartes en main (
Cf Les organismes professionnels). Mais c’est surtout la mise en place d’une stratégie de lutte contre des cloisonnements paralysants et de conquête pour le rayonnement de son industrie, et de sa commune, qui explique cette appétence, plus qu’un narcissisme exacerbé. Dans un commentaire de 1974, il note : Je n’aurais jamais eu le lycée, si je n’avais été maire de Longchamp.
Si Henry Moisand est un homme de pouvoir, ce n’est pas un homme d’argent. Évidemment, l’argent est un facteur important, celui que l’on gagne, celui qui fait tourner l’usine, celui qui permet d’innover, celui qui finance les œuvres sociales, celui qui manque souvent. On ne parle pas d’argent à la maison, on ne demande pas le prix d’un objet. Lui-même se paie peu, il applique la règle en vigueur chez les patrons catholiques d’alors, une fourchette des salaires contenue à 7 fois le salaire le plus faible. Les enfants portent parfois le même pull tricoté d’une année sur l’autre et la famille part en vacances en Haute-Savoie, dans une vieille ferme à retaper.
Tout homme qui meurt riche meurt déshonoré, disait Andrew Carnegie. Henry Moisand n’était pas loin de penser ainsi, une fois son épouse à l’abri du besoin. Il a agi sans se préoccuper de fortune personnelle ou familiale.