Jumelage avec Laubenheim

Jumelage avec Laubenheim

Laubenheim 1973 – Henry Moisand

Il y aura bientôt huit ans, nous décidions avec mon cher collègue et ami Éric Koch de rapprocher Laubenheim-Longchamp pour préparer leur jumelage et offrir à nos administrés la joie de se connaître.



Toutes nos réunions furent des succès et peu à peu se sont tissés entre nous des liens profonds, étroits, d’union et d’amitié. Jamais une ombre dans nos relations fraternelles, qui ont toujours été marquées par la franchise, le désintéressement, la confiance, la spontanéité et surtout la simplicité naturelle, qui permet le rapprochement des êtres de toutes les conditions et de tous les âges.

N’oubliez jamais, chers amis de Laubenheim, tout ce que nous devons à mon cher collègue Éric Koch sans omettre tous ceux qui l’entourent et qui l’ont aidé dans cette tâche. Dès le premier jour, ce fut un ami, un ami loyal, sûr et vrai, il a joué un rôle essentiel dans notre association en pleine harmonie.

Aussi, cette fête historique du 1 200ème anniversaire de Laubenheim représente pour nos communes jumelles beaucoup plus qu’une nouvelle étape, elle marque en réalité un nouveau départ.

Laubenheim-Longchamp, tout en conservant leur individualité, forment aujourd’hui une véritable communauté sur tous les plans : social, culturel, moral.

Cette communauté, c’est essentiellement l’expression délicate certes, mais irrésistible de nos familles de Laubenheim-Longchamp réunies pour construire les assises et les institutions qui doivent assurer notre avenir dans la paix, la liberté et la joie de vivre.

Pascal écrivait : « Tous les hommes veulent être heureux, même ceux qui veulent se pendre ». Car il existe chez tout homme un besoin fondamental vers lequel tous ses autres désirs convergent, le besoin d’être heureux.

C’est le grand motif de confiance et d’espoir de ce merveilleux outil forgé au cours de ces huit dernières années et prêt aujourd’hui à prendre le grand départ.

Laubenheim a déjà rejoint Mainz, Longchamp rejoint Genlis et j’ai le plaisir de vous présenter son Maire-adjoint M. Rouyer, qui est Président de la Fanfare « la Genlisienne » et responsable avec moi du Syndicat des Communes qui, dans quelques années, vont former le grand Dijon.

La forêt de Longchamp en sera le parc naturel entre la Saône et Dijon. Alors, les ondes de la Saône se mêleront à celles du Rhin, les étoiles hautes luiront au-dessus de nos villes et de nos villages, les chants du Rhin magnifique s’écouleront en murmures joyeux dans le silence de notre immense forêt, qui doit se préparer à vous accueillir par milliers.

En ce jour de grande fête, Laubenheim-Longchamp veulent entreprendre un projet très ambitieux : créer l’un des foyers les plus vivants de Bourgogne-Rhénanie-Palatinat, participer activement, comme l’avait voulu le Chanoine Kir, à l’épanouissement du grand Mainz et du grand Dijon.

C’est ainsi que vivra la véritable Europe : née de l’union de tous ces villages et de toutes ces Provinces, qui, jadis, partout divisées, forment aujourd’hui les Nations.

L’amour que je porte à notre Communauté Laubenheim-Longchamp me fait souhaiter ardemment cette Europe nouvelle pour nos enfants et petits-enfants dans laquelle tous les peuples du monde, confiants dans la paix Européenne, travailleront dans la fraternité joyeuse et trouveront le plein épanouissement de leur génie.
Vive Mainz-Laubenheim ! Vive Longchamp !

Discours du Maire de Laubenheim à l’occasion de la plantation d’un tilleul


« À la fontaine devant le portail se trouve un tilleul … »

Il y a une centaine d’années que les romantiques Wilhelm Müller qui a créé ce poème, Franz Schubert qui a composé la mélodie, et Friedrich Silcher qui l’a adaptée pour le chœur, l’ont chanté.

Le tilleul, un des plus beaux arbres de nos paysages, ce chant, un des plus expressifs de notre langue, un « Volkslied » plein de poésie.

Mais entre-temps, les portails ont été brisés, il n’y a plus des fontaines, il y a des stations d’essence, les arbres sont morts et le chant du tilleul est oublié. Dans la vie de mes parents le chant et l’arbre ont été encore d’une grande importance.

C’est un acte plein de mérite de planter aujourd’hui un tilleul, petit et plein de promesses, au berceau duquel les chanteurs et nos amis de Longchamp sont rassemblés.

J’ai dit « un acte plein de mérite », parce qu’il renouvelle une tradition ancienne et parce qu’il se passe à la fête d’un jumelage paisible et joyeux parmi des gens bien intentionnés dans des nations voisines ; un acte qui veut contribuer à la paix et à un avenir heureux.

Dans le chant ancien du tilleul on trouve les vers :
« j’ai rêvé beaucoup de rêves doux dans son ombre »
et
« j’ai rayé des mots d’amour dans son écorce »
et aussi,
« viens, mon ami, voici tu trouves ton repos ! »
Nous et nos contemporains, nous avons beaucoup de temps libre, mais nous n’avons plus le temps de rêver, nous ne rayons plus nos déclarations d’amour dans l’écorce d’un tilleul, nous faisons sonner un disque des Beatles pour exprimer ce que nous sentons ; quand nous cherchons le repos, nous sommes assis devant l’appareil de télévision et nous nous endormons.

Nous ne pouvons pas révoquer les temps romantiques passés, mais il serait nécessaire que nous enrichissions notre vie par la poésie. Et pour ça, ce tilleul peut en être le symbole. Quand il est en fleur, nous voulons nous rassembler le soir en voisins pour un chant. Et il nous rappelle, à nous et aux générations suivantes, la date de sa naissance, une date importante pour l’histoire de Laubenheim.

Cet arbre que nous voulons nommer « le tilleul des chanteurs », floreat, crescat, vivat dans un avenir plus beau et plus paisible !

Le tilleul des chanteurs par Henry Moisand

Voulez-vous partager avec moi une pensée profonde pour tous nos amis de Laubenheim et de Longchamp qui ont quitté cette terre dans les quinze dernières années et que nous espérons retrouver un jour dans la Maison du Père ?

Minute de silence.

Parmi ces amis, vous me permettrez de citer spécialement :

Qui est venu offrir sa vie dans notre Église de Longchamp, et André Kayser, cet inoubliable ami de Laubenheim et de Longchamp. Enfant de Pfafenheim et fils de vignerons Rhénans, il parlait nos deux langues et grâce à lui notre rapprochement ne fut pas un jumelage comme les autres et jamais un jumelage de raison. C’était un humaniste, bien plus que nos pensées les plus délicates, il a su exprimer nos deux cœurs et vous savez que le cœur a des raisons que la raison ne connait pas. Ce grand éducateur a permis à notre collège de devenir le lycée professionnel national de la céramique française.

Peut-être pourra-t-il recevoir un jour des stagiaires de Mainz-Laubenheim ? Mon vœu le plus ardent, serait d’obtenir un jour que le Lycée de Longchamp soit baptisé « André Kayser ».

C’est par la cohésion de toutes les volontés et de tous les génies, par l’union commune des esprits et des cœurs que l’Europe pourra s’élever, atteindre les hautes cimes. Et c’est ainsi que nous les vivants, en particulier les jeunes, nous continuerons, nous consacrerons l’œuvre de nos chers disparus.

Laubenheim Strasse in Longchamp, Longchamp Platz in Laubenheim et cette rue que nous inaugurons ensemble resteront les symboles de notre union, de notre amitié, de la paix que nous voulons avec vous conserver à tout prix dans nos familles, nos Cités, nos pays d’Europe et que nous essaierons d’apporter à d’autres hommes dans le monde, qui ont faim, qui ont soif de justice et de liberté et qui ont droit aussi au bonheur et à la prospérité.

Il y a quinze ans, nous décidions avec mon cher collègue et ami Éric Koch de rapprocher Laubenheim-Longchamp pour sceller notre jumelage et offrir à nos administrés la joie de se connaître.

Toutes nos réunions furent des succès et peu à peu se sont tissés entre nous des liens profonds, étroits, d’union et d’amitié.

Jamais une ombre dans nos relations fraternelles, qui ont toujours été marquées par la franchise, le désintéressement, la confiance, la spontanéité et surtout la simplicité naturelle, qui permet la réunion des êtres de toutes les conditions et de tous les âges.

N’oubliez jamais, chers amis de Laubenheim, toute la reconnaissance que nous devons à votre maire Éric Koch sans omettre tous ceux qui l’entourent et qui l’ont aidé dans cette tâche. Dès le premier jour, ce fut un ami, un ami loyal, sûr et vrai, il a joué un rôle essentiel dans nos associations en pleine harmonie.

Laubenheim-Longchamp tout en conservant leur personnalité, forment aujourd’hui une véritable communauté sociale et culturelle.

Puis-je vous demander en remerciement de votre délicate attention de profiter de ce 15ème anniversaire pour souder définitivement cette Communauté ?

Le lycée Henry Moisand

Le lycée Henry Moisand des métiers d’art, design, céramique

lien sur le site

Historique ( L’Industrie Céramique n°805 5/84)

Dès que ce fut possible, au retour de la paix, le Centre d’apprentissage des métiers de la faïence est créé en 1946 et fonctionne pratiquement au sein des Faïenceries de Longchamp grâce aux qualités d’initiative et de foi dans la formation des jeunes de Henry Moisand et de son frère Robert, très attachés sentimentalement à l’entreprise familiale fondée en 1867.

Au début, la jolie abbaye du XVII° siècle, le « château » était aménagé en internat, bureaux et logements de fonction avec une capacité d’accueil de 60 élèves, tous des garçons.

L’enseignement professionnel était dispensé dans les ateliers mêmes de la faïencerie par des ouvriers hautement qualifiés, puis progressivement par des professeurs techniques.

Le succès de l’école, rattachée rapidement à l’Éducation Nationale et devenue Collège d’enseignement technique de la céramique rendait les conditions matérielles de l’enseignement et de l’internat mal adaptées: les locaux apparaissaient trop exigus, les structures devaient évoluer.

En 1955, Henry Moisand présentait un projet d’extension de ce Collège devenu mixte, et de construction d’un nouvel établissement entièrement neuf, correspondant aux spécificités de cet enseignement technique et aux nécessités d’internat de 90% de l’effectif d’un lycée dont le « module » était de 216 élèves, filles et garçons. Il lui fallut une ténacité à toute épreuve, parmi les innombrables écueils administratifs de la « navette centralisation/décentralisation » pour faire triompher une idée qui se concrétisera enfin en 1976 par les premiers travaux d’un Lycée d’enseignement professionnel inauguré le 3 octobre 1978.

La naissance du lycée Henry Moisand

Deux questions nous sont parfois posées :

  • Pourquoi avoir créé ce Lycée dans ce petit village de Longchamp ?
  • Comment ce projet a-t-il pu aboutir ?

Les faïenceries-tuileries du XIX° siècle s’implantaient à proximité des ressources nécessaires (bois, argile). Mais les innovations introduites par les frères Charbonnier, entre 1868 et 1881, pour développer la faïence fine, supprimèrent ces avantages ; énergie (charbon) et matières premières (kaolin, feldspath, émaux, etc.) durent être importées. Ne subsistait à Longchamp que l’avantage d’une main d’œuvre formée.

Sous la houlette de M. Jacquemin, Directeur artistique, les employés, souvent issus d’une population agricole devinrent la véritable richesse de la faïencerie au début du XX° siècle. La formation et la transmission des savoir faire se passaient dans les familles, les apprentis, sortant de l’école primaire, étant très tôt orientés vers les métiers qui leur convenaient le mieux : coulage, moulage, décoration, émaillage, etc.

Les grosses difficultés rencontrées par les Faïenceries au début des années 30 puis la maladie de Gaëtan, amenèrent les dirigeants, Hélène Moisand et ses fils, Henry dès 1936, puis Robert après-guerre en 1945, à penser l’usine du futur. Un double constat s’imposa, nécessité d’une évolution technologique majeure et d’une réorganisation des ateliers, conduisant à un plan de modernisation de l’usine progressivement déployé jusqu’en 1950.

Simultanément, la question de la formation de personnel qualifié et adapté à ces nouvelles techniques revint au premier plan, conduisant à la création dès 1946 d’un petit internat bénéficiant des installations de l’usine (et de la cuisine de la villa !). Installé dans l’ancien château des Chartreux datant du XVII° siècle, le collège d’enseignement technique (CET) comptera jusqu’à 60 élèves. Après avoir mis au point le programme pédagogique et la définition des trois CAP (certificats d’aptitude professionnelle : modeleurs, décorateurs, façonniers) André Kayser dirigea le CET pendant plus de vingt ans jusqu’à son décès accidentel en 1974, établissant sa réputation et jetant les bases de l’actuel lycée.

Le CET était un parfait exemple de formation en alternance, en symbiose étroite avec l’usine toute proche, tout en répondant au souci d’apporter une culture générale. Sur les 40h hebdomadaires d’étude de la semaine, 20h étaient réservées à la pratique dans les ateliers et 20h pour les autres matières (histoire de l’art, français, dessin, sciences naturelles, etc.). Le cycle durait 3 ans avec une spécialisation à partir de la seconde année.

Les appuis d’Henry Moisand dans les divers organismes professionnels permirent au CET de rayonner bien au-delà de Longchamp.

Ainsi, en 1960, le CET créa sur la demande de la Chambre syndicale des Faïenceries de France et du Syndicat National des Grossistes en Céramique et en Verrerie, un service de table, la forme « CONCORDE» sous la marque « Faïencerie de France » , il sera produit par toutes les faïenceries.

En 1961, le CET répondit au concours des « potages ». En partant d’une idée : « la soupe c’est pour les vieux et le potage pour les jeunes », les élèves devaient concevoir de nouvelles formes et de nouveaux décors qui incarnent la modernité. Les prix ont été remis en novembre 1961 sous la présidence du Ministre Edgar Faure. Le succès de l’opération fit dire à Henry Moisand : « nous pourrons difficilement réaliser et créer un projet avec une socialisation aussi large : Education Nationale, élèves, professeurs, presse française, chambre syndicale ; acheteurs des grands magasins, etc. ».

Et pourtant, ces succès furent insuffisants et il fallut vingt ans de combat pour que le CET fût enfin transformé en Lycée Professionnel en dépit d’une forte demande d’ouvriers qualifiés, pourquoi ?

Dans ses notes laissées à la fin de sa vie, Henry Moisand revint sur les multiples obstacles qu’il lui  fallut lever pour atteindre son but :

  • Avec l’Etat, tout d’abord, et l’Education Nationale en particulier, se cristallisait une opposition de fond (privé / public, chrétien / laïque, usine / CET) qui n’aurait jamais pu être dépassée s’il n’avait eu un mandat de Maire de la commune. Il fallait instaurer une relation de confiance et cesser de penser que l’une des parties (usine ou CET) tirait plus d’avantages de la situation que l’autre.
  • Avec la profession, même l’ouverture d’un centre de formation privé nécessitait l’accord de la chambre syndicale. Les jalousies se développèrent, chacun voulant créer son propre centre, bloquant ainsi un projet plus ambitieux comme un lycée national.
  • Avec les politiques, il fallait jouer finement de la rivalité Chirac-Giscard pour éviter une implantation à Limoges.

Pendant des années, le projet de passer à un lycée de plus de 200 élèves sera rogné, retardé, refusé ; le CET menacé de suppression en 1975 ! Pendant toutes ces années, Henry Moisand poursuivit sans relâche son idée de fédérer les professions de la table à partir du constat suivant : « face à la compétition internationale, il existe des secteurs où de moyennes entreprises sont parfaitement aptes à conserver leur place…à condition toutefois qu’elles trouvent les possibilités et la volonté de substituer à l’individualisme une solidarité qui permette d’orienter leurs activités. Cristalliers, faïenciers, orfèvres, porcelainiers l’ont bien compris et se trouvent réunis dans le Comité National des Arts de la table. ». Cet extrait du discours du 29 mars 1971 devant M. Giscard d’Estaing alors Ministre des Finances permet de comprendre qu’en créant le Comité National des Arts de la Table en 1966, Henry Moisand servait l’ensemble de la profession et se donnait les moyens de faire aboutir le projet de lycée, pour tous.

La genèse du lycée se confond ainsi avec celle de la France de l’après-guerre. Les jeunes générations étaient tournées vers l’avenir, le Marché Commun, l’Europe, tandis que survivaient les corporatismes et les individualismes. Si Henry Moisand a cumulé autant de Présidences, participé à autant de créations (CET en 1946, Cordons Bleus en 1949, Arts de la Table en 1966), c’est pour faire triompher ses idées de rapprocher les institutions et les hommes, et pour que la profession, en parlant d’une seule voix, fasse face aux défis de la concurrence internationale.

Le lycée, construit en 1976, a été baptisé Lycée Henry Moisand en 1984, deux ans après sa mort. Roland Richard, Maire de Longchamp a rappelé les efforts qui ont été nécessaires pour arriver à ce résultat, en présence de Mmes Henry Moisand et André Kayser, des représentants de l’Education Nationale et de la préfecture.

Depuis 1976, le Lycée a formé des centaines d’élèves, incarnant les métiers de la Table et de la Gastronomie au bénéfice de tous les industriels, artisans et artistes des professions de la céramique. Son rayonnement a franchi les frontières.

A ce jour le lycée compte 200 élèves formés à six diplômes de métiers d’art : artisanat, création graphique, design d’objet et modelage et un BTS concepteur art et industrie céramique. Le lycée bénéficie de 500 entreprises partenaires en France et à l’étranger. Il est labellisé « excellence des métiers d’art » par l’académie de Dijon.

Inauguration du Lycée Henry Moisand

Allocution du 10 janvier 1986 pour l’inauguration de la plaque Henry MOISAND au Lycée professionnel de la céramique de Longchamp

M. Roland Richard, maire de Longchamp.
Le 28 Avril 1982, Henry MOISAND s’éteignait. Avec lui disparaissait une figure très marquante de notre village, mais aussi de la vie régionale (et même nationale) dans le domaine de la céramique.

Les activités stimulaient Henry MOISAND :
Président de la Chambre syndicale des faïenceries de France
Président fondateur du Comité national des Arts de la table
Président de l’Institut de la céramique française de Sèvres
Président des Conseillers régionaux du Commerce extérieur
Conseiller de l’Enseignement technologique
Président de la Commanderie des Cordons bleus de France


Toutes ces responsabilités, il les assumait avec une résolution jamais démentie et un esprit tourné toujours vers l’avenir.

Son énergie, ses compétences liées à une grande culture, son dévouement, appréciés dans de multiples secteurs, lui valaient une amitié et une reconnaissance profondes.

Nous lui devons pour une grande part le visage actuel de notre village, avec en particulier la construction du L.E.P. de la céramique.

Très tôt, Henry MOISAND percevait quel rôle important jouerait la formation professionnelle avec l’évolution rapide des techniques.

En 1978, dans la revue Offrir, il déclarait : 

La formation manuelle proprement dite est devenue inséparable d’une éducation des capacités et des aptitudes, et d’une culture générale. Il devient impératif de développer chez les jeunes des qualités d’adaptation et de disponibilité. La formation professionnelle doit englober tout un contexte personnel et social nécessitant un enseignement qui doit se caractériser par sa souplesse et la diversité de sa méthode ». Ainsi s’exprimait Henry MOISAND.

Cette nouvelle façon d’envisager la formation des futurs céramistes, il l’avait comprise dès 1946 quand, à l’initiative de son frère Robert MOISAND, était créé au sein des Faïenceries de LONGCHAMP, le Centre d’apprentissage des métiers de la faïence.

Aussitôt rattachée à l’Éducation nationale, cette école devait devenir le Collège d’enseignement technique de la céramique, et en 1978, le Lycée d’enseignement professionnel de la céramique.

Attaché corps et âme à son métier de céramiste et soucieux des problèmes de formation des jeunes, Henry MOISAND consacrait toute la liberté que pouvaient lui laisser ses lourdes tâches au développement de cette école.

En effet, en 1946, le Château, belle abbaye du 17ème siècle, était aménagé en internat, bureaux et logement de fonction, avec une capacité d’accueil de 60 élèves masculins.

L’enseignement professionnel était alors dispensé dans les ateliers mêmes de la faïencerie. Les jeunes apprentis étant encadrés dans un premier temps, par des ouvriers hautement qualifiés, puis ensuite et progressivement par des professeurs techniques. Les cours d’enseignement général étaient donnés dans deux classes aménagées sommairement dans une ancienne cantine de l’usine, puis à partir de 1956, dans deux classes préfabriquées, implantées entre l’internat et la faïencerie.

Cette situation géographique imposait de nombreux déplacements aux élèves, mais le succès de l’école ne devait jamais se démentir. Cependant, il apparut très rapidement que les structures devaient évoluer.

Les conditions matérielles de l’internat devenaient précaires. L’étroitesse des locaux se faisait cruellement sentir. Un plan d’extension s’imposait. Dès 1955, Henry MOISAND présentait un projet de construction correspondant aux besoins de la formation céramique et aux conditions décentes d’hébergement des élèves, internes pour plus de 90 % d’entre eux, à cette époque.

Devenu collège mixte, les problèmes d’accueil s’amplifiaient.

La spécificité de l’enseignement professionnel dispensé, métiers de la céramique peu connus au sein de l’Enseignement technique, l’implantation mal comprise dans un village, d’un lycée module 216 élèves, alors que le voisinage de la faïencerie offre un support technique remarquable, le système de financement de la construction difficile à mettre au point : enveloppe académique, ou nationale du fait d’un recrutement d’élèves hors académie, tous ces facteurs, ajoutés à la lenteur administrative, rendaient la tâche rude et complexe à Henry MOISAND.

En 1975, l’alternative était la suivante, soit envisager la fermeture de l’école, soit engager rapidement la construction.

Soutenus dans ses démarches par Robert MOISAND, céramiste chevronné dont l’apport technique à l’école est toujours très apprécié et par André KAYSER, directeur de l’établissement de 1946 à 1974, pédagogue remarquable à l’autorité paternelle, Henry MOISAND voyait enfin ses efforts se concrétiser, lorsque le 29 Août 1976, les engins excavateurs entreprenaient leur ronde pour préparer les solides fondations de ce lycée, attendu pendant vingt ans.

Madame MOISAND, mieux que quiconque, pourrait évoquer les longues démarches de son mari, les déplacements fréquents, tant au rectorat à DIJON qu’au ministère de l’Éducation nationale à PARIS, les modifications de projet imposées par l’administration avec pour conséquence une multitude de problèmes nécessitant une action courageuse et permanente. Merci Madame, merci à ceux qui ont su épauler Henry MOISAND durant cette période difficile.

C’est par arrêté préfectoral en date du 17 Avril 1984, faisant suite aux demandes du conseil d’administration du lycée et du conseil municipal de LONGCHAMP, que le Lycée d’enseignement professionnel de la céramique a pris la dénomination Henry MOISAND à compter de la rentrée scolaire 1984-1985.

Si la plaque fixée sur la façade du Lycée, réalisée par les élèves de l’établissement avec le concours de la faïencerie représente le témoignage visible de notre gratitude envers Henry MOISAND, elle symbolise aussi le sens de l’effort et de la volonté, valeurs morales à prôner dans une école, dont cet homme fit preuve tout au cours de sa vie.

Nous avons le devoir de le rappeler à tous ces jeunes filles et garçons, qui viendront dans ce lycée unique en France, se préparer au merveilleux métier de céramiste, qui apporta tant de satisfaction, mais aussi tant d’émotions au Président Henry MOISAND.

Le chic à cheval

Le chic à cheval

Il y a des gens qui aiment les chiens et qui en font la passion de leur vie, des vieilles filles qui s’enamourent de cacatoès au plumage aveuglant, des poètes comme Baudelaire chérissant les angoras fourrés. Moi, j’ai toujours eu pour le cheval un vaste et profond amour. 

Ainsi commence de façon exubérante “Le chic à cheval”, un livre dont le titre prête à sourire tant il a un charme suranné. Publié en 1891, cet ouvrage aux 300 gravures dont 50 en couleurs retrace l’histoire « pittoresque » du cheval et de l’équitation.

L’auteur ne se contente pas d’écrire le texte du livre, il en est également l’illustrateur. Louis Vallet, c’est son nom, est un aquarelliste qui se fera mieux connaître au début du XXème siècle par des dessins et aquarelles mettant en valeur la femme ; ses dessins, parfois coquins, seront publiés dans des revues telles que Frou Frou ou la Vie Parisienne.

Robert Charbonnier sur Boy au petit galop

Mais revenons au cheval : le vaste et profond amour que lui porte Louis Vallet, un autre homme le partage. Un homme dont nous connaissons déjà la passion pour le cheval et dont nous avons découvert dans un bulletin précédent sa passion pour le dessin et plus encore pour les dessins de chevaux. Un homme qui se représente volontiers à cheval dans ses propres dessins et qui se montre volontiers à cheval sur les photos prises par ses proches. Vous l’avez deviné, bien sûr, cet homme c’est Robert Charbonnier, aussi passionné par le cheval que l’était Louis Vallet. Dès lors, il paraît naturel que ces deux-là, vivant à la même époque, se soient rencontrés et se soient entendus au point de faire affaire. Robert a certainement consulté le livre de Louis Vallet dès sa parution et l’a même sans doute acheté. On peut penser que l’auteur est devenu un maître pour Robert et que ce dernier s’est inspiré des dessins du livre pour parfaire les siens.

Quelques temps plus tard après la parution du livre, en 1893 ou 1894, Robert prend l’initiative d’une rencontre que Louis Vallet accepte volontiers. Les deux hommes, passionnés de cheval et de dessin se comprennent tout de suite. Robert commence bien sûr l’entretien  par un éloge du livre et de son auteur. Il continue en évoquant son  rêve de créer un service de faïence dont le thème serait le cheval et ajoute qu’ il espère pouvoir réaliser ce rêve depuis qu’il a découvert le “Chic à cheval”. A condition bien sûr que son interlocuteur accepte de le suivre…

Louis Vallet n’hésite pas longtemps, la proposition lui plaît évidemment. Une fois conclu l’accord de principe, et au-delà des considérations financières qui ont eu bien sûr leur importance, les deux hommes, ce jour-là ou par la suite, continuent leur discussion pour choisir le thème des dessins de façon à donner une identité bien précise au service.

Le choix se porte sur La Guérinière. Un des chapitres du livre de Louis Vallet lui est consacré. Ce sera le nom du service, qui sera commercialisé à compter de 1895.

François Robichon de la Guérinière (1688-1751), après avoir obtenu son brevet d’écuyer du Roi, ouvre en 1715 une académie d’équitation, à l’emplacement de l’actuelle rue de Médicis au dos de la fontaine qui porte le même nom. C’est là qu’il va acquérir sa réputation de professeur hors pair. En 1730, il est nommé écuyer du manège royal des Tuileries.  Il écrit, en 1733,  l’ “Ecole de cavalerie” qui va devenir la bible de l’équitation pour tous les cavaliers de France et d’Europe.

Louis Vallet dans son livre écrit que la Guérinière « est le père de l’équitation actuelle. Tout ce qu’il a écrit est aussi vrai qu’il l’était de son temps ». On peut déduire de ces propos qu’au XIXème siècle, tout cavalier digne de ce nom, et notamment tout officier de cavalerie comme l’était Robert Charbonnier, a lu l’ “Ecole de cavalerie”. De là à penser que c’est ce dernier qui a été à l’initiative du choix du nom du service et du thème de celui-ci, il n’y a qu’un pas que l’on peut se permettre de franchir sans grand risque d’erreur.

On trouve peu de gravures dans le chapitre que Louis Vallet consacre à La Guérinière. Celle qui est présentée ici est la seule en couleurs.

Même si elle a quelques airs de ressemblance avec les dessins du service, Louis Vallet ne la reprend pas lorsqu’il exécute les dessins de celui-ci.  On pourrait donc affirmer que Louis Vallet a créé exclusivement des originaux pour le service de Longchamp. Mais il faut reconnaitre toutefois qu’il arrive à Louis Vallet de s’inspirer, de façon plus ou moins explicite, des gravures du livre de La Guérinière, dont l’auteur s’appelle Charles Parrocel.

Ainsi cette gravure du livre de La Guérinière qui représente une figure appelée la capriole.
« La capriole est le plus élevé et le plus parfait de tous les sauts. Lorsque le cheval est en l’air et dans une égale hauteur du devant et du derrière, il détache la ruade vivement, les jambes du derrière dans ce moment  sont l’une près de l’autre et il les allonge aussi loin qu’il lui est possible de les étendre. Les pieds de derrière dans cette action se lèvent à la hauteur de la croupe et souvent les jarrets craquent par la subite et violente extension de cette partie. Le terme de capriole est une expression italienne, que les écuyers napolitains ont donné à cet air, à cause de la ressemblance qu’il a avec celui du chevreuil, nommé en italien caprio”

Voici la capriole de Charles Parrocel (in « l’Ecole de Cavalerie » de La Guérinière)

… celle de Louis Vallet sur dessin aquarellé préparatoire pour le service de Longchamp

… et sur un plat long du service de la Faïencerie


Le dessin préparatoire présenté ci-dessus n’est pas le seul à être arrivé jusqu’à nous, il y en quelques autres que nous avons découverts récemment avec une extrême surprise.

Laissons le dernier mot à François Robichon de la Guérinière. Il semble l’avoir écrit spécialement pour commenter les superbes décors du service de Longchamp qui porte son nom :
« La grâce à cheval consiste en une posture bien droite et libre, qui vient du contrepoids du corps bien observé ; en sorte que, dans tous les mouvements que fait le cheval, le cavalier, sans déranger son assiette, conserve autant qu’il le peut un juste équilibre, cet air d’aisance et de liberté qui forme ce qu’on appelle le bel homme de cheval. »

Catalogues des Faïenceries

Catalogues des Faïenceries

De 1868 à 1920, les Faïenceries de Longchamp ont édité  des catalogues dont la vocation était de présenter les produits et leurs tarifs. Il est probable que le rythme de parution de ces catalogues ait été annuel, à compter de 1868 (date de l’acquisition de la Faïencerie par les frères Charbonnier et jusqu’à la 1ère guerre mondiale.

Par un heureux concours de circonstances,  Gaëtan Moisand (le second) a pu avoir accès  à plusieurs d’entre eux. Les feuilleter les uns après les autres, c’est une bonne manière de parcourir l’histoire de la Faïencerie. C’est aussi, pour les collectionneurs, une occasion de situer ce que l’on possède ou ce que l’on achète ( les catalogues de 1909 et 1912 sont  les plus précieux).

  Le catalogue de 1874

Qui pouvait  imaginer découvrir un catalogue aussi ancien : 1874,  c’est six ans  à peine après l’arrivée des Charbonnier à Longchamp.

Le catalogue est celui de la “Manufacture de Faïence de Longchamp”. Sous cet intitulé, se trouve la mention “Charbonnier Frères” :  c’est la première période de l’histoire de la Faïencerie Charbonnier-Moisand, elle commence  avec le rachat de la Faïencerie  par les frères Robert et Marcel Charbonnier à Mr Phal le 6 août 1868.

1874,  c’est six ans  à peine après l’arrivée des Charbonnier à Longchamp. Le catalogue est celui de la “Manufacture de Faïence de Longchamp”. Sous cet intitulé, se trouve la mention “Charbonnier Frères” :  c’est la première période de l’histoire de la Faïencerie Charbonnier-Moisand, elle commence  avec le rachat de la Faïencerie  par les frères Robert et Marcel Charbonnier à Mr Phal le 6 août 1868.


L’editorial du 1er janvier 1874 réserve une surprise : 
Un incendie considérable détruisit l’année dernière une partie importante de nos bâtiments. Nous avons pu néanmoins continuer à fabriquer un peu sous des abris provisoires, de façon à maintenir autant que possible nos assortiments. Mais malgré des sacrifices importants, nous n’avons pu satisfaire autant que nous l’aurions désiré les personnes qui voulaient bien nous adresser des demandes. Aujourd’hui notre établissement est rétabli, la partie neuve est reconstruite avec les améliorations qui répondent aux besoins actuels et nous espérons que vous voudrez bien nous accorder votre confiance comme par le passé….

Bien que dénommée Manufacture de Faïence, l’usine des Charbonnier fabrique encore en 1874 des produits très traditionnels que l’on s’attendrait plutôt à voir sortir du four d’une poterie. Certes, quelques produits sont émaillés et quelques-uns ne le sont que partiellement : les cafetières sont ainsi « blanc dedans » et « brun dehors », elles sont de plus dénommées « terres à feu », ce qui laisse entendre peut-être qu’elles sont en argile brun résistant à la chaleur. Même chose pour les coquelles (ou cocottes).

Les soupières ne sont pas émaillées, à l’exception d’une seule dite « forme porcelaine », présentée comme pouvant être blanche, bleue ou peinte.

On peut découvrir d’autres caractéristiques de la Faïencerie dans son premier âge  : un nombre réduit de produits ; l’absence de « services de table » ( il y a certes 5 formes d’assiettes, les « calottes », brunes, blanches ou peintes ; une assiette percée à fromages ; 3 formes de saladiers et 5 formes de soupières, mais on est loin de services de table complets,  aux formes et décors différenciés); la prédominance des produits autres que ceux de la table  :  les bures à huile, les pots à soupe, les cruches, les écuelles et les bols, les pots de chambre classiques et les polonais, etc.

En 1874, les Faïenceries de Longchamp ne sont pas encore passée en 1874 à la production d’une faïence fine. Pourtant selon la légende, Marcel Charbonnier serait parti en Angleterre dès l’acquisition de la Faïencerie en 1868 et serait revenu quelques mois plus tard pour mettre en œuvre à Longchamp les techniques modernes de composition de la terre de faïence, avec un ingénieur anglais M. Abbington. Il s’agissait de produire une faïence fine, à partir d’une composition à base de feldspath et du kaolin, pour la rendre plus blanche et plus résistante. Ce sera la fameuse « terre de fer » sous son appellation commerciale.

Mais tout ceci a pris du temps, Robert s’est engagé volontaire à la guerre de 1870, un incendie a ravagé une partie de l’usine en 1874 et, enfin, la mise en œuvre des nouvelles techniques a été certainement compliquée (approvisionnement des matières premières, essais, construction de fours, introduction de la gravure et de la photocrosie dans les décors, formation du personnel, etc.). C’est une révolution qui est menée tambour battant comme l’indique l’article [2020-06-06-article-histoire-1923-Longchamp] :
« Dès 1881, l’usine, complètement transformée, fabriquait toute la faïence usuelle en une pâte de granit analogue à celle de la faïence anglaise et recouverte d’émail. Puis vinrent s’adjoindre les faïences d’art et l’on vit des objets en barbotine, des vases et d’autres pièces décorées par des maîtres du pinceau, sortir de l’usine de Longchamp. »

Le catalogue de 1909

Bien que publié 4 ans après la mort de Robert Charbonnier, le catalogue 1909 affiche encore son nom et sa qualité de « propriétaire ». Tout semble figé comme si la succession n’avait pas encore commencé !

Le catalogue de 1909 est intéressant à plus d’un titre, car il présente de façon exhaustive toute la production de la Faïencerie et donne une idée assez précise de la production de la 1ère décennie du XX° siècle. Il fournit de plus des informations précieuses sur la répartition de la production entre les grandes catégories d’objets. La part des produits autres que ceux entrant sous le libellé « services de table » est en effet prépondérante. Ils représentent 15 pages du catalogue quand les services n’en occupent  que 5.

Les garnitures de toilette : le broc et la cuvette de plusieurs dimensions, le seau, le porte-savon, le bain de pied, le vase de nuit sont déclinés en 11 formes et 11 décors (dont 8 en impression et 3 peints). Les vases, vasques, cache-pots et garnitures de cheminée sont présentés avec une extraordinaire variété de formes et de décors.

Les services de table sont produits sous 12 formes (Cannelé, Renaissance, Pothuau, Feston, Argent, Moscou, Dupleix, Tokio, Octogone, Martha, Henri II, Dubarry) et 60 décors imprimés ou coloriés sous émail. La plupart des décors ne sont déclinés que sous une seule forme. Par contre les formes sont proposées avec plusieurs décors. Ainsi la forme la plus commune, Renaissance, est utilisée sur 10 décors différents, dont Exotique, et Donjon en imprimé et Villa en colorié, la forme Dubarry sur 2 : Trianon et La Guérinière.

Citons parmi les décors « coloriés sous émail » : Aubépines, Anémones, Callot, la Guerinière, Rouennais, Saxe, Sylvia, Trianon. Et parmi les décors imprimés : Donjon, Exotique, Louis XVI, Lilas, Sapho, Velléda, Veneur. 

Le catalogue de 1912

C’est un catalogue très complet, plus étoffé que le précédent, parce que la tarification y est plus détaillée. 

Les garnitures de toilettes et les pièces dites « artistiques » (vases, vasques, garnitures de cheminée, …) y ont la part belle.

Si les formes et décors des services de table évoluent peu d’un catalogue à l’autre, on remarque  deux disparitions (la forme Octogone avec son décor Rouen impression et la forme  Tokyo avec 2 décors qui disparaissent également) et une nouveauté : la forme Limoges.

Outre ceux déjà cités, quelques décors ont disparu : le Louis XVI, l’Aubépine, le Cyclamen, le Sapho. Mais in fine, le nombre de décors est toujours aussi impressionnant :  30 en impression et 25 coloriés sous émail.

 Parmi les nouveaux décors, le Moustiers mérite une mention particulière, car il connaîtra une fortune durable tout au long du XXème siècle, sous ce nom et sous d’autres encore (Viry, Olérys,…).

Au-delà de sa vocation première (présenter la collection et les prix), le catalogue de 1912 permet de suivre l’évolution de la Faïencerie dans sa gouvernance. Cette fois, ce n’est plus comme en 1909 Robert Charbonnier qui est le propriétaire, mais « Veuve Robert Charbonnier et Cie ». La crise a eu pour conséquence d’éloigner les fils de leur mère, c’est elle désormais la propriétaire . Le « …et Cie »  laisse penser toutefois qu’elle n’est pas seule propriétaire, mais qu’elle partage la propriété de l’usine, avec tous ses enfants ou peut-être avec ses seules filles Juliette Joran  et Hélène Moisand,  épouses des « gendres » qui  ont provoqué le départ des fils  (Edouard pour la Faïencerie de Salins, qu’il rachète en 1912 précisément).

 Le complément du catalogue 1912

On ne peut guère parler de catalogue concernant ce document, tant il est de taille modeste : 3 pages seulement.

Il s’intitule « dernières créations », c’est probablement un complément du catalogue 1912, publié au début de l’année 1913.

En 1ere page, 3 formes de services de tables sont présentées , les formes Argent, Limoges et Alise. Seule cette dernière  est  une véritable création. En 2ème page, figurent  4 formes nouvelles de garnitures de toilette, dont la forme Hélèna, en hommage à Hélène Charbonnier Moisand.

Mais c’est la mention en 1ère page du nouveau propriétaire, la Société Anonyme des Faïenceries de Longchamp, qui retient l’attention. Les administrateurs-délégués en sont Marcel Joran et Gaëtan Moisand. Pour bien marquer la continuité avec le passé, il est souligné que tous deux sont « gendres de Robert Charbonnier, ancien propriétaire et fondateur » .

Le 5 décembre 1912, en effet, a été créé cette société nouvelle, qui reprend l’activité de la Faïencerie. Pour ce faire, les épouses des gendres, Juliette et Hélène, font apport de l’ensemble des actifs permettant de poursuivre l’exploitation de la Faïencerie (fonds de commerce, biens immobiliers, machines et matériels, stocks, …) Cet apport évalué à 300 000 F est complété par un apport en numéraire de 50 000  F de 7 personnes dont les gendres, le tout constituant le capital initial de la Société. Les deux sœurs détiennent ainsi à elles deux 600 des 700 actions de la SA des Faïenceries de Longchamp.

On peut supposer qu’avant la constitution de cette société, Caroline a désintéressé d’une façon ou d’une autre (non connue à ce jour) son fils René et sa fille Henriette. Edouard, quant à lui, a déjà renoncé à la succession de son père moyennant une indemnité forfaitaire de 25 000 F.

 Le catalogue de prestige de 1920

Sa taille est vraiment modeste, à peine au-delà de celle d’une carte postale ; son volume également, 9 planches seulement, ne présentant qu’une vue très partielle de la production de la Faïencerie à la date de sa parution. Et pas de tarif, pourtant toujours présent dans chacun des catalogues connus de la Faïencerie.

 En photo de titre de cet article sur les catalogues, la reproduction de la page de couverture de ce mini-catalogue ;  immédiatement ci-dessus et ci-dessous, 3 des des 9 planches.

On peut le présenter comme un prospectus commercial ou un objet de prestige, il utilise un papier de qualité et une technique irréprochable  d’impression de photographies dont certaines en couleur. 

Sur les 9 planches, 4 présentent des services de table, 4 des garnitures de toilette, 1 des vases, vasques et porte-parapluies.

 Sur une des planches, deux décors nous sont familiers, le Callot et le Rouennais, sur la forme la plus utilisée de l’histoire de la Faïencerie, la forme Argent. Sur une autre planche, une formes déjà ancienne, la forme Martha avec ce superbe décor, le Velars, qui est de création récente. 

Les garnitures de toilette  conservent une place importante puisqu’elles occupent autant de planches que les services de table. Ce sont sans doute les dernières années des cuvettes et des brocs de toilette, car l’eau courante commence à se généraliser en France. On peut imaginer les difficultés pour la Faïencerie lorsque les ventes de garnitures de toilette  ont commencé à se tarir pendant l’entre-deux-guerres.

Ce catalogue est difficile à dater. Le graphisme des lettres de la page de couverture, d’esprit Art Nouveau (proches des lettres des stations de métro Guimard ou encore des affiches de Mucha) peut laisser penser à une parution entre 1895 et 1905. Mais les pièces de faïence avec des formes et des décors nouveaux font pencher pour une parution plus tardive, entre 1920 et 1930. En effet, les décors des  cuvettes et brocs de toilette sont  très représentatifs de l’Art Déco, de l’entre-deux-guerres (formes Beauvais et Suzy avec un décor Vapo).

 La forme Imperator avec son décor Carquois confirme cette hypothèse. C’est une forme originale avec un décor assez classique. Un modèle  de  broc Imperator/Carquois figure dans les collections de la Villa de Longchamp, sa « signature » au dos est  caractéristique des années 1920-1930.

L’absence de catalogues  après 1912 (le dernier présenté est plus un prospectus qu’un catalogue comme nous l’avons vu) peut laisser à penser que cette pratique s’est tarie avec l’arrivée des nouveaux dirigeants. Les moeurs commerciales ont dû changer après la Grande Guerre et  l’édition de catalogues avec des prix fixes pendant un an  n’est plus dans l’air du temps à une époque d’instabilité monétaire. De plus, les Grands Magasins   prennent une place déterminante dans la clientèle de la Faïencerie, avec des  tarifs distincts de ceux appliqués à la clientèle traditionnelle des  grossistes régionaux.

Notons que la quasi-totalité des décors connus, et des estampilles associées, du temps de Robert Charbonnier, ont été répertoriés. Jean Rosen en a fait une publication :
http://www.napovillers.com/




Longchamp et les décors Moustiers

Longchamp et les décors Moustiers

Dans les inspirations de Longchamp, on peut citer surtout Clérissy, Bérain, et Olérys. Jacques Callot, graveur lorrain du XVII° siècle a été associé à cette série, essentiellement parce qu’un service à grotesques porte son nom.

Le premier service Moustiers

Les premières faïences de Moustiers chez Pierre Clérissy étaient décorées en camaïeu bleu à motifs de fleurons et de rinceaux. Les marlis étaient de guirlandes à fleurs de solanacées et personnages mythologiques. Il y a une certaine analogie avec Rouen que certains attribuent au rôle qu’aurait joué Jean Clérissy, frère de Pierre, curé en Normandie.

Le premier service du nom de Moustiers, créé à Longchamp au XIX° siècle, du temps de Robert Charbonnier, s’en inspire. Il sera ensuite abandonné mais on conservera le service « rouennais » qui a une facture assez proche.


Le Callot

Le décor caricatural, à grottesques désigne les décors de la Rome antique redécouverts dans les grottes de la Maison dorée de Néron à Rome, à la Renaissance. La bizarrerie des sujets représentés, hommes ou animaux, a conduit à l’appellation de grotesques qui s’applique à l’expression à la fois d’une imagination drolatique et moqueuse et d’une réalisation amusante : caricatures humaines sous forme de singes grimaçants et carnavalesques, ménestrels, hérons et ânes musiciens ou ailés, hommes difformes et bossus au nez boursouflé, fées enveloppées de capes, oiseaux à longues ailes sans corps, personnages d’époque etc…


Créé au XIX° siècle, le service Callot doit son nom à la reprise de certaines gravures de Jacques Callot, décorateur lorrain du XVII° siècle. Il s’inspire aussi des polychromes d’Olérys ou de Laugier. Les principaux éléments de décoration en sont repris: grotesques disposés au centre, sur des « terrasses fleuries », avec sur le pourtour de la pièce des « tertres » entre lesquels se répartissent plantes, fleurs, papillons et insectes.

Outre la qualité de la réalisation qui ne saurait rivaliser avec Moustiers, le service Callot ne présente qu’un personnage au centre, là où les Moustiers en présentent plusieurs sur une même pièce.

Il met en scène 4 personnages : les 2 premiers brandissant une arme et les 2 autres jouant d’instruments de musique. Ils sont tous assez singuliers, les premiers dansent ou se contorsionnent de façon quelque peu grotesque tout en semblant menacer un adversaire imaginaire avec leur arme. Le joueur de violon est un nain difforme, vêtu de façon plutôt ridicule avec notamment son drôle de chapeau. Quant à l’autre instrumentiste, c’est un âne !

Les services Moustiers du XX° siècle

Tout au long du XX° siècle, les services Moustiers de Longchamp ont décliné de façon assez proche, un personnage central.

Le premier de cette série date du début du XX° siècle. D’autres services par la suite et notamment ceux qu’Hélène Charbonnier Moisand réinterpréta dans les années 50 à partir des modèles anciens,  prirent le nom de décorateurs célèbres de Moustiers, comme Viry.





Si l’on rapproche ces différents décors du XXème siècle du Callot créé au XIXème, on est évidemment frappé par la proximité des styles. On peut donc affirmer sans risque d’erreur que le service Callot est l’ancêtre de tous les décors « Moustiers » de la Faïencerie de Longchamp.  Certes avec le temps, le décor s’apure : les tertres disparaissent, les feuillages et les fleurs se font plus parcimonieuses. Mais l’essentiel reste identique. On remarquera que les Moustiers de Longchamp reprennent le parti pris caractéristique du service Callot de ne présenter qu’un seul personnage sur chaque pièce. Alors que les décors à grotesque de Moustiers présentent de façon quasi systématique 2 ou 3 grotesques sur chaque pièce, voire plus encore.

Le service Olérys

A la différence du Callot, le décor Olérys de Longchamp présente systématiquement deux personnages au centre, une sorte de couple avec un homme s’avançant vers une caricature de femme évoquée par son ombrelle. On y retrouve le gros papillon et des rinceaux et feuillages. Il est traité en ocre jaune.
La consécration de ce décor fut, une fois de plus, sa production en porcelaine de Longchamp, ce qui accentua la finesse du trait et la luminosité des pigments.

Le Bérain

« Le décor ” à la Berain ” s’inspire des dessins de Jean Berain, ornemaniste de Louis XIV. Autour d’un sujet central, généralement un personnage mythologique, s’articule un réseau d’arabesques parfaitement symétrique, enrichi d’éléments architecturaux, de cariatides, de bustes et d’animaux fantastiques.

Comme ce superbe plat exposé au musée de Marseille, le plus souvent, ce décor est en camaïeu bleu. Moustiers a produit des décors ” à la Bérain ” pendant toute la première moitié du XVIIIe siècle, d’abord chez Clérissy. Il a été traité à Moustiers très majoritairement en camaïeu bleu, rarement en polychromie, et exceptionnellement en camaïeu jaune ». [Académie de Moustiers]. Berain emprunte également quelques petites figures à la Callot qu’il place dans cet enchevêtrement de rinceaux.

Le service Bérain de Longchamp sera créé tardivement, dans les années 1960 par Paule Moisand, épouse d’Henry et son gendre Jean Duminy, architecte et peintre, tous deux inconditionnels de la Provence. Ce service sera un des fleurons de la porcelaine de Longchamp mise au point à la même époque.

Voir sur le site www.académie-de-moustiers un résumé illustré des principaux décorsdes vieux Moustiers : https://www.academie-de-moustiers.com/les-decors-principaux.html

Henry Moisand

Henry Moisand

Né le 25 juillet 1909, Henry Moisand fut chef d’entreprise, notable et père de famille nombreuse. Ce fut aussi un chrétien, tant dans ses convictions que dans la pratique de ses différentes fonctions. Ce qui constitue un homme va bien au-delà des qualificatifs qui cherchent à le décrire. Une vie est un itinéraire et celui d’Henry Moisand est marqué par la rectitude, l’espérance et un dynamisme éclairé, doublé d’une persévérance sans faille.

Chef d’entreprise, il dirigea les Faïenceries de Longchamp, comme directeur général puis comme président directeur général de 1945 à 1977, auxquelles se rattachèrent à partir de 1953 les Faïenceries de Casamène. Il endossera de nombreuses responsabilités professionnelles, de la chambre syndicale de la céramique à l’institut de la céramique française de Sèvres. Il créera le comité national des arts français de la table et présidera la commanderie des cordons bleus de France.
Élu local, il sera maire de Longchamp pendant trente ans, de 1947 à 1977, suivant en cela l’exemple de son père, de son oncle et de son grand-père, puis président du SIVOM de Genlis. Européen convaincu, il initiera le jumelage de Longchamp avec Laubenheim, une commune située dans le Land de Rhénanie-Palatinat. Profondément concerné par la position de la France dans le monde, il se battra pour développer les exportations des professionnels français des arts de la table, établissant une antenne à New-York, créant une faïencerie au Mexique et devenant président du comité des conseillers du commerce extérieur de Bourgogne.

Enfin, soucieux de l’avenir des jeunes, il se battra sans cesse de 1945 à 1975 pour que le centre d’apprentissage créé après-guerre avec son frère Robert devienne un lycée professionnel lequel deviendra le Lycée Henry Moisand.

Homme de pouvoir économique, politique, Henry Moisand, qui coordonna bon nombre des activités du village, s’inscrit dans une lignée familiale, transmettant un héritage de savoirs, de valeurs et de convictions, qu’il incarna avec autorité tout au long de son existence.

Chronologie
  • Henry Marie Antoine Moisand
  • Né le 25 juillet 1909 à Longchamp
    • De Hélène Moisand, née Charbonnier
    • Et Gaëtan Moisand, avocat à la Cour d’appel de Paris
  • Études jusqu’en 1928 auprès des pères jésuites de Dole – Mont-Roland
  • 1928 Baccalauréat latin-grec philosophie, reçu avec mention
  • 1928 Études de droit à Paris
  • 15-10-1930 Incorporé au 27° R.I. et service militaire, sorti avec le grade de sous-Lieutenant
  • 20-9-1931 Entrée aux Faïenceries de Longchamp à 22 ans, il les quittera le 30-12-1974 à l’âge de 65 ans.
  • 1-10-1931 Directeur du Personnel
  • 1-04-1933 Directeur Technique jusqu’à la « drôle de guerre » en 39/40
  • 1939-1940 Sert au 27°R.I., démobilisé avec le grade de Lieutenant et la croix de guerre (J.O. du 1-6-1944)
  • Du 1-01-1942 au 16-6-1966 Directeur Général, puis P-DG des Faïenceries de Longchamp, incluant, à compter du 31-12-1953 les Faïenceries de Casamène (à côté de Besançon)
  • Décédé le 28 avril 1982

Responsabilités locales
  • De 1947 à 1977 Maire de Longchamp (5 mandats de 6 ans)
  • 1971 Président fondateur du SIVOM de Genlis

Responsabilités professionnelles
  • Union Faïencière (organisme de vente et de recouvrement des Faïenceries françaises)
  • Administrateur depuis 1946, du 15-11-1962 au 16-6-1977, président-directeur général
  • Chambre syndicale de la céramique
  • Du 1-01-1942 au 20-03-1969, administrateur, du 20-03-1969 à 1982, président (renouvelé tous les deux ans depuis 1969)
  • Institut de la céramique française de Sèvres
  • Depuis juillet 1969, administrateur, du 1-07-1976, président
  • Confédération des industries céramiques de France
  • Depuis juillet 1969, vice-président du Bureau et du comité de direction
  • Comité national des Arts français de la table (cristalliers, porcelainiers, orfèvres, faïenciers)
  • Janvier 1966, Président Fondateur, 1982, Président en exercice
  • G.I.E. « Centre international des Arts de la table » Fondateur
  • Depuis 1963, Conseiller de l’Enseignement technologique
  • Comité régional des conseillers du commerce extérieur de la région Bourgogne
  • Conseiller depuis 1968, Président depuis 1974.
  • École nationale de la céramique industrielle (école décentralisée à Limoges depuis la rentrée scolaire 1979), administrateur puis vice-président depuis le 1-07-1976.
  • Commanderie des Cordons bleus de France (créée par Gaston-Gérard en 1949 et chargée notamment de préparer et de convoquer tous les ans à Dijon les États généraux de la gastronomie française),
  • Depuis 1949, Commandeur fondateur, depuis 1966, membre du conseil, depuis juin 1969, président.

Citations
  • Croix de guerre 39-40 (1-06-1944)
  • Médaille de bronze de l’Éducation nationale (28-06-1954)
  • Médaille d’argent de l’Éducation nationale (22-03-1963)
  • Chevalier du Mérite social – ministère du Travail (30-12-1954)
  • Médaille du Travail d’argent (31-07-1959)
  • Médaille du Travail de vermeil (26-07-1973)
  • Médaille du Travail d’or (18-01-1978)
  • Chevalier de l’Ordre du Saint-Sépulcre de Jérusalem (8-03-1977)

Biographie


La famille
Aîné d’une fratrie de huit enfants, Henry Moisand est le fils d’Hélène Charbonnier-Moisand et de Gaëtan Moisand, et le petit-fils de Robert Charbonnier, fondateur des Faïenceries de Longchamp, l’entreprise familiale, et grand chasseur devant l’Éternel. À sa naissance, son père le surnomma « le Dauphin ». Ou le « roi de Rome», ce qui est moins prometteur.

Henriette et Hélène au piano, vues par leur père (RC)

En 1909, quatre ans après la mort du fondateur, Édouard, frère d’Hélène, pressenti par son père pour prendre sa succession à la tête de l’entreprise, est écarté. Après quelques années tumultueuses, Caroline, leur mère, décide finalement d’en donner le contrôle à ses gendres, Gaëtan et Marcel Joran (époux de Juliette, Henriette étant célibataire). Hélène, épouse de Gaëtan, était à la manœuvre… Gaëtan, forte personnalité, avocat brillant, secrétaire de la Conférence à vingt-cinq ans, prix Paillet à vingt-six, est aussi un bon vivant, catholique engagé et très introduit dans les milieux parisiens de l’époque. Il met son talent, entre les deux guerres, au service des Faïenceries de Longchamp pour en assurer le rayonnement. C’est lui qui établira le lien entre l’entreprise et les grands acheteurs parisiens. Hélène, quant à elle, tiendra un rôle important tant à l’usine que dans la vie sociale locale. Son portrait sur l’un des vitraux de la villa familiale nous renvoie l’image d’une femme altière, volontaire, d’une beauté un peu sévère. Elle est née à Longchamp et y a grandi mais ce n’est pas tout à fait une provinciale. En effet, le reste de sa famille est parisienne.

Passionnée de musique, elle enseigne le piano à ses filles, tandis que les garçons poursuivent leurs études à l’internat de Mont-Roland. Elle tient l’harmonium, dirige la chorale, enseigne le catéchisme et participe à l’organisation des fêtes religieuses de la paroisse. À ces activités traditionnelles pour une femme de son époque et de son milieu social s’ajoute le rôle qu’elle tient à l’usine. Non seulement elle dessine, elle crée, prenant le nom d’artiste d’Ellen, mode anglophile oblige, mais elle dirige aussi l’atelier de décoration et préside, après 1945, le conseil d’administration, et ce jusqu’à sa mort en 1964. Une grande partie des femmes du village travaillant alors aux Faïenceries, Hélène est au courant de tout, ou presque, et peut ainsi porter assistance aux uns et aux autres. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle tient tête aux occupants et maintient l’activité industrielle, autant que faire se peut. Elle sera même arrêtée, mais presque aussitôt relâchée, grâce à l’intervention du chanoine Kir. À Longchamp, on la surnomme la Reine. Elle règne sur l’usine, le village et les œuvres de la paroisse, une omniprésence discrète difficile à imaginer aujourd’hui.

Les années de formation
Henry Moisand quitte la maison familiale pour poursuivre ses études secondaires au collège Notre-Dame de Mont-Roland, à Dole, établissement fondé par quatre jésuites en 1582, passé sous l’autorité de l’université sous Charles X, un décret interdisant l’enseignement aux Jésuites, puis transformé en noviciat pendant quelques années. L’institution retrouve sa vocation première, après le vote de la loi Falloux, en 1852 et sera tenu par l’ordre jusqu’en 1961. Dans ce genre d’institution cohabitent deux catégories principales d’élèves : les intégrés et les rétifs. Henry Moisand fait incontestablement partie des intégrés. La discipline lui convient, il trouve du grain à moudre dans l’enseignement. Bref, il n’est pas du genre à faire le mur. D’autres membres de la famille y furent moins heureux.

Servatum servabit, autrement dit « ce qui fut conservé le restera », était la devise inscrite au pied d’une statue dans la cour de Mont-Roland. Peut-être Henry Moisand l’a-t-il gardée en mémoire quand il rédige, bien plus tard, un discours où il évoque la qualité française, «sûre de conserver ce qu’elle possède de miraculeusement éprouvé ». 

Le baccalauréat en poche, il se rend à Paris, où il entreprend des études de droit en 1928. De sa vie à cette époque nous ne savons pas grand-chose. Les archives familiales sont muettes. Sans doute sera-t-il moins attaché à la vie parisienne que ne l’avait été son père.

En 1930, il fait son service militaire au 27e R.I., dont il sortira sous-lieutenant.

C’est en octobre 1931 qu’il entre à l’usine, à vingt-deux ans, d’abord comme directeur du personnel, puis comme directeur technique jusqu’à la drôle de guerre, période pendant laquelle il est mobilisé  et sert toujours au 27e R.I. Lors de sa démobilisation, il aura le grade lieutenant.

En 1929, il épouse Paule Bernard. La veille de son mariage, alors qu’il chasse dans les environs de Longchamp, le chauffeur de la famille vient le chercher. Hé, m’sieur Henry, lui dit-il. Maintenant, changement de sport, chasse à la bécasse ! L’histoire ne dit pas ce qu’en pensa la bécasse.

Le couple aura sept enfants, et les quatre premiers, nés avant guerre, éviteront à Henry le STO.

Le chef d’entreprise

En 1942, Henry Moisand prend la direction générale des Faïenceries de Longchamp, son frère Robert en occupant la direction technique en 1945. Il doit, alors que le pays est occupé par les Allemands, assurer l’emploi de quatre cents employés et trouver les matières premières, et notamment du charbon, indispensable au fonctionnement des fours. L’approvisionnement étant réduit, il choisit de privilégier les productions exigeant de la main-d’œuvre et peu de combustible. Il parviendra à maintenir 70% de l’activité en ces temps troublés, sans un jour de chômage, sans un ouvrier déporté au STO. La clientèle française sera livrée, tandis que l’on trouve toujours d’excellentes raisons logistiques de ne pas effectuer les livraisons à destination de l’Allemagne, ou de les retarder. Il est si difficile de trouver le bon wagon en gare de Genlis …

Avant même la signature de l’armistice, un plan de modernisation de l’usine est engagé. De 1942 à 1974, date de son départ à la retraite, Henry Moisand dirigera les Faïenceries de Longchamp en suivant trois lignes directrices, qui marqueront son empreinte : la qualité, avec pour corollaire l’importance accordée à l’innovation, le souci des hommes et des femmes qui collaborent à la production et la formation des jeunes générations.

Dans ses discours, Henry Moisand insiste sur la nécessité de produire des objets de qualité. Qualité des matières, qualité des décors, qualité environnementale pour satisfaire aux exigences de l’export (suppression des oxydes de plomb), procurer à la fois beauté, conformité et solidité. Il s’inquiètera même, dans les années soixante-dix de la résistance des décors à la généralisation des lave-vaisselles et à la puissance des détersifs. Avec son frère Robert, directeur technique, s’engage un dialogue fructueux pour sélectionner les innovations utiles. Pour ce faire, ils prêtent une attention constante à la sélection des matières premières et à la précision des fours, remplaçant le charbon par le gaz, comme leur père avait substitué la houille au bois, et aux progrès techniques. Ainsi seront progressivement introduits l’automatisation des tâches, les centres d’usinage, de nouveaux empilages réfractaires, les commandes numériques et la robotique. À ce titre, l’usine de Casamène, dirigée par Marcel, devient un petit bijou technologique, à la pointe de l’innovation dans les carrelages. Quant à la vaisselle, même si la décoration à la main doit laisser peu à peu la place à une certaine automatisation des décors – après les pochoirs, les chromos – la beauté demeure un objectif en soi. C’est la raison pour laquelle, de véritables artistes enrichissent les collections, tout en suivant l’évolution des goûts et des techniques. Ainsi Robert Picault, dont la renommée à Vallauris n’était plus à faire, occupa-t-il pendant des années la fonction de directeur artistique à Longchamp comme à Casamène. Pour Henry Moisand, à l’utile doit toujours se joindre l’esthétique. Et l’esthétique réside dans l’harmonie et dans le respect des lignes, ce qui n’exclut ni la fantaisie, ni l’audace.  Ce point de vue, il saura le défendre dans les différentes instances veillant aux destinées de la faïence et des arts de la table, dont il sera parfois le fondateur et souvent le président.

Si les objets de la vie courante doivent être à la fois beaux et pratiques, il en va de même du site industriel, des ateliers et des différents lieux de vie des employés. Dans ce domaine, Henry Moisand reproduit, dans une moindre mesure, la gestion paternaliste qu’avaient adoptées avant lui son grand-père puis son père. Lutter contre la maladie par le biais d’une société de secours mutuel, contre les taudis par le développement des cités ouvrières, contre le gaspillage par l’école ménagère qui enseigne aux jeunes filles l’économie domestique, contre l’ennui par les patronages, les jeux en commun, les comédies, le cinéma, tel était le credo de Gaëtan Moisand, dans la droite ligne de l’encyclique Rerum novarum et des principes du catholicisme social, sans aller pour autant jusqu’à donner voix au chapitre aux ouvriers. Comme si l’instance de concertation se trouvait au conseil municipal, depuis Robert Charbonnier :

Conseil municipal mars 1905 (RC)


Après 1936 et l’avènement du Front populaire, l’État prend en charge bon nombre des préoccupations que les entreprises les plus socialement avancées, avaient jusque-là assumées. Il en va ainsi de la maladie, du chômage et de la retraite. La société de secours mutuel n’a plus de raison d’être. Les cités ouvrières étaient déjà construites. En revanche, on assiste à un transfert de certains progrès sociaux vers l’État après 1945, spécialement à Longchamp, grâce à la cohérence entre la commune et l’entreprise, toutes deux dirigées par Henry Moisand : des colonies de vacances, une école de filles, des logements HLM, des terrains de sport, des infrastructures (gaz naturel, château d’eau et eau courante, tout à l’égout, électricité, routes, trottoirs) et enfin le centre d’apprentissage. Cette politique sociale de l’après-guerre 14, Henry Moisand eut toujours à l’esprit de la prolonger. Très sensible au courant gaulliste de la participation, nul doute qu’il aurait avancé dans cette direction, s’il avait eu les coudées franches au niveau du capital, réparti entre ses frères et sœurs. Soucieux du bien-être de chacun, il écrivait :
L’ouvrier doit être fier de son usine, fier d’y travailler. À l’intérieur, l’emploi de couleurs claires transforme la vie de chacun. La qualité s’améliore, lorsque chacun prend conscience de sa dignité, de sa fierté de travailler au succès d’une marque, d’une entreprise à laquelle il collabore.

Enfin, troisième ligne directrice de son action, la formation des jeunes se concrétise, dès 1945, par la création du centre d’apprentissage de la céramique, disposant d’un internat, qui deviendra le lycée portant aujourd’hui son nom, même s’il avait souhaité le dédier à André Kayser, son directeur, en récompense de son engagement. Il ne s’agit pas seulement de former une future main-d’œuvre à des techniques nouvelles, que les anciens ne parviennent pas toujours à acquérir, il s’agit aussi d’éduquer dans le sens le plus large du terme. Ce qui semblait relever du bon sens devint le combat de sa vie. Habitué aux horizons larges et aux échanges fructueux, le voilà suspecté de calcul et d’intérêt particulier. Un interlocuteur, fonctionnaire, lui dira un jour : Vous voulez fabriquer des esclaves !, voilà où en était la mentalité vis-à-vis du travail manuel à l’époque. Presque 30 ans lui furent nécessaires pour que le centre d’apprentissage rejoigne l’Éducation Nationale. Aujourd’hui, en 2020, l’apprentissage et l’innovation reviennent en force…

Le souci de la jeunesse apparaît sans cesse dans ses écrits et dans ses discours, où il s’inquiète des goûts nouveaux, des loisirs et même de ce qu’il nomme les conceptions budgétaires des jeunes ménages, en s’efforçant de faire un pas vers une modernité qui l’obsède et l’intrigue parfois, tout en restant attaché à une tradition qui l’avait beaucoup guidé dans ses choix. Les jeunes, ce sont les futurs collaborateurs, les futurs clients et les inventeurs de demain.

Même pendant les Trente Glorieuses, La fonction de chef d’entreprise n’est pas chose aisée, surtout dans les industries de main-d’œuvre, soumises à des charges de plus en plus lourdes, tandis que se réduisent leurs marges bénéficiaires. Henry Moisand ne cessera de plaider leur cause auprès des politiques, sans être véritablement entendu. Et puis il faut aussi rendre des comptes et satisfaire des actionnaires, plus sensibles au montant de leurs dividendes qu’aux problèmes multiples et récurrents d’une activité en déclin, qui doit dans le même temps s’adapter aux exigences du commerce international, aux avancées techniques et à l’évolution des mentalités. Parfois, le conseil d’administration ressemblait à un tribunal de famille, on l’a vu en sortir au bord des larmes, crucifié par l’attitude de ses proches.

L’élu local et le patron
Cinq ans après avoir pris la tête de la Société anonyme des Faïenceries de Longchamp, Henry Moisand devient le maire de Longchamp. Comme son père et son grand-père avant lui, il, exerce donc des fonctions publiques, non pour atteindre à l’immortalité cantonale, mais pour créer une synergie entre ses fonctions de chef d’entreprise et celle d’élu. Il ne s’engagera jamais en politique au-delà de ce mandat et refusera la Légion d’honneur, et même la candidature aux élections législatives. L’obsession de garder les mains libres pour ses projets le détournait de s’engager dans des compromissions ou des « cadeaux », qui se payaient d’exigences de réciprocité. En revanche, c’est en se présentant comme maire de Longchamp qu’il plaidera la cause des industries de main d’œuvre, en 1966 auprès d’Edgar Faure, alors ministre de l’Agriculture, lors d’un dîner au Clos-Vougeot, puis en 1973 auprès de Valéry Giscard d’Estaing.  En 1971, il fonde le SIVOM de Genlis, dont il prendra la présidence. Enfin européen convaincu, il entreprendra avec le maire de Laubenheim, de créer un jumelage entre les deux communes et de tisser entre leurs administrés des liens sur le plan « social, culturel et moral », comme il le dit lui-même dans l’un de ses discours.  C’est aussi dans le dessein d’établir une dynamique constructive qu’Henry Moisand collectionne les présidences. Administrateur, fondateur, président, quel que soit le titre, il cumule les fonctions. Dès 1946, il est administrateur de l’Union faïencière, organisme de vente et de recouvrement des faïenceries françaises, dont il devient président-directeur général en 1962. En 1969, il est administrateur de l’Institut de la céramique française de Sèvres, dont il prendra la présidence en 1976. Comité national des Arts français de la table, président fondateur, G.I.E. Centre international des Arts de la table, fondateur, Commanderie des Cordons bleus de France, commandeur fondateur depuis 1949, et la liste n’est pas exhaustive. Boulimie ? Sans doute. Il lui est difficile de participer à une instance sans en être président.  Il veut avoir toutes les cartes en main (Cf Les organismes professionnels). Mais c’est surtout la mise en place d’une stratégie de lutte contre des cloisonnements paralysants et de conquête pour le rayonnement de son industrie, et de sa commune, qui explique cette appétence, plus qu’un narcissisme exacerbé. Dans un commentaire de 1974, il note : Je n’aurais jamais eu le lycée, si je n’avais été maire de Longchamp.

Si Henry Moisand est un homme de pouvoir, ce n’est pas un homme d’argent. Évidemment, l’argent est un facteur important, celui que l’on gagne, celui qui fait tourner l’usine, celui qui permet d’innover, celui qui finance les œuvres sociales, celui qui manque souvent. On ne parle pas d’argent à la maison, on ne demande pas le prix d’un objet. Lui-même se paie peu, il applique la règle en vigueur chez les patrons catholiques d’alors, une fourchette des salaires contenue à 7 fois le salaire le plus faible. Les enfants portent parfois le même pull tricoté d’une année sur l’autre et la famille part en vacances en Haute-Savoie, dans une vieille ferme à retaper.

Tout homme qui meurt riche meurt déshonoré, disait Andrew Carnegie. Henry Moisand n’était pas loin de penser ainsi, une fois son épouse à l’abri du besoin. Il a agi sans se préoccuper de fortune personnelle ou familiale.

Henry Moisand – article nécrologique

Henry Moisand – article nécrologique

Le Bien Public, vendredi 30 avril 1982

Cette nécrologie résume bien ce qu’a été la vie d’Henry Moisand :
Henry Moisand, ancien directeur général des Faïenceries de Longchamp s’est éteint pieusement mercredi soir, à l’âge de 72 ans, des suites d’une brève maladie.

Avec M. Moisand disparaît une grande figure de la vie régionale, au cœur de laquelle son dynamisme désintéressé, son dévouement et ses compétences exercés dans de multiples domaines lui valaient une amitié et une reconnaissance unanimes.

Parallèlement à ses activités professionnelles, M. Moisand a consacré une part importante de son existence à la vie de sa commune, dont il demeurera maire de 1947 à 1977, prenant le relais des mandats que son père, et avant lui, son grand-père, assuraient depuis 1870. Parmi les nombreuses initiatives qu’on lui doit, on peut citer notamment le SIVOM de Genlis, dont il fut le président fondateur (en décembre 1971), le syndicat intercommunal de l’Arnison (en 1954) dont il était encore le président en exercice, le jumelage avec la commune allemande de Laubenheim, en 1965.

Mais l’œuvre dont il se montrait le plus fier et à laquelle jusqu’à ses tout derniers jours il consacrait ses efforts, car il était soucieux des problèmes de formation professionnelle de la jeunesse, reste le Centre d’apprentissage de Longchamp qui devint collège technique puis LEP, et dont une réalisation d’agrandissement récente a porté à 216 le nombre d’élèves.

Le Chalet où naquit et demeura Henry Moisand, dans la maison édifiée fin XIX° par son grand-père Robert Charbonnier avec les matériaux locaux: chênes, briques, tuiles.

Soucieux par ailleurs de préserver la qualité de la céramique française, M. Moisand – qui a toujours proposé des solutions modernes à un problème industriel et commercial d’importance – était président de l’Institut de céramique de Sèvres. Il a été également président des conseillers du commerce extérieur.

L’art de la table française était pour Henry Moisand un tout. Fondateur du Comité national des arts de la table, il était aussi président de la Commanderie des cordons bleus et défendait avec talent une conception très « choisie » de la gastronomie contemporaine, dans laquelle il privilégiait « l’émotion esthétique ».

M. Moisand, chrétien pétri de culture classique et de traditions, mais l’esprit tourné avec résolution vers un avenir dans lequel il se voulait actif, représentait un humanisme moderne dont il ne reste que peu d’exemples.

Moustiers et Longchamp, une longue histoire…

Moustiers et Longchamp, une longue histoire…

« C’est à Moustiers, par un concours de circonstances providentiel, que s’établira le lien le plus sûr avec la table et la gastronomie.

En effet, Clérissy (fayencier, maître faiseur de fayence) fabrique déjà à Moustiers de très beaux plats en faïence et maîtrise admirablement à la fois le grand feu et les décors en camaïeu bleu d’une tonalité plus claire que le Rouen, couleur qui ne dépasse jamais ses limites et n’a jamais bavé sur l’émail (musée de Dijon).

L’émail de Clérissy est à la fois gras, plus léger et laisse percevoir cette terre fine moustérienne que les flammes, en la caressant, rosissent agréablement. Les pièces vibrent et sonnent plus de 20 secondes comme des cloches.

Toutes les conditions sont réunies pour recevoir les décors des vaisselles d’or et d’argent et en majorité dans leur dimension, c’est-à-dire 220 à 250 millimètres. C’est la dimension de l’assiette et, du même coup, les premières assiettes sont en faïence.

Bérain, ciseleur à l’origine, devenu architecte ordinaire du roi Louis XIV, possède tous les « poncifs » des ciseleurs et des blasons, il les transmet à Clérissy, qui a donné à la faïence pendant les 25 dernières années du Grand Siècle ses plus beaux titres de noblesse. Clérissy sera anobli par le roi (Comte de Roumoules).

Ainsi s’établira le premier lien solide entre la gastronomie et la faïence.

Pendant ces 25 années, les maîtresses de maison de nos châteaux et de nos hôtels, qui reçoivent beaucoup, ont apporté de plus en plus de raffinement à la table et à leurs menus d’une plantureuse abondance. Elles réalisent très vite que la grâce de l’accueil, sans négliger certes la qualité de la chère, peuvent passionner et épanouir une maîtresse de maison avertie. Le contact qu’elles ont gardé avec Moustiers, grâce à Bérain, permet d’établir dès1738 le deuxième lien définitif entre la faïence et la gastronomie :

En effet, Olérys revient d’Espagne (Alcora) avec une très belle palette polychrome (jaune, orange, jaune citron, ocre associé au bleu et vert). Il possède un talent prodigieux de décorateur et s’attache à faire vivre la table par ses décors à guirlandes de fleurs et à médaillons, par ses fameux grotesques et combien d’autres motifs tellement simples et naïfs qu’ils trouvent naturellement leur place à table (fleurs des champs, papillons etc…). Ils expriment tous une grande allégresse de mouvement.

Si j’ai insisté sur les faïences de Moustiers, c’est parce qu’elles sont d’une qualité exceptionnelle de matériaux : sonorité, émail blanc laiteux d’un éclat incomparable et surtout qu’elles représentent les créations les plus originales de décors pensés et conçus pour la table française et sa gastronomie. » [Henry Moisand, intervention à la Commanderie des Cordons Bleus 1966].

Voir sur le site www.académie-de-moustiers un résumé illustré des principaux décors : https://www.academie-de-moustiers.com/les-decors-principaux.html

Henry Moisand et Moustiers
À la suite de problèmes cardiaques, sur le conseil de son médecin, Henry Moisand et son épouse Paule décident de quitter leur lieu de vacances en Haute-Savoie pour une région moins montagneuse. Aussi, à partir de 1969, descendent-ils par la route Napoléon, se passionnant successivement pour Embrun, puis Sisteron et, enfin, Moustiers-Sainte-Marie, magnifique village dans son écrin de rochers, au pied des Alpes de Haute-Provence.

Le coup de foudre est immédiat. Tout est là. La beauté biblique des paysages de Provence, l’histoire, celle de la faïence de Moustiers, dont la mémoire a été sauvée par Marcel Provence, et même celle de la famille, qui se découvre des ancêtres originaires du lieu. Pourtant, à quelques exceptions près, la production du village se limite trop souvent à satisfaire les touristes de passage : cigales-cendriers, objets en terre cuite, etc. sans beaucoup de rapport avec le Moustiers du XVIII° siècle.

En quelques années, sous son impulsion, plusieurs jeunes de Moustiers partent au lycée de Longchamp parfaire se former. Ils reviendront, parfois avec un compagnon ou une compagne de promotion, incarner le renouveau de la faïence de Moustiers, dans le respect de ses traditions du XVI° siècle au XVIII° siècle. Les ateliers se développent, Lallier, Bondil, Saint-Michel, etc.

Parmi les représentants de cette fièvre de renouveau créatif, citons les ateliers de Segriès (devenus Ateliers du Soleil). Installés à côté de l’austère beauté d’un monastère désaffecté, en pleine nature, ces ateliers incarnent ce qu’Henry Moisand avait pressenti, à savoir l’avenir de la faïence de qualité. Lui qui avait peiné toute sa carrière à fédérer les industries des arts de la table et les ateliers artisanaux, voire artistiques, voit surgir le modèle économique du futur. Un atelier d’une quinzaine de personnes, un catalogue ancré dans la tradition, augmenté de nombreuses innovations, une exigence constante d’extrême qualité, une vision mondiale de la commercialisation (exportations aux USA). C’est bien ce qu’il avait souvent décrit étant comme l’avenir de la faïence de qualité, à côté de la production de masse.

Un article de 1923 détaille l’ensemble de la fabrication à Longchamp

Un article de 1923 détaille l’ensemble de la fabrication à Longchamp (conservé à la Bibliothèque municipale de Dijon)

Dans la plaine de Genlis à 6 kilomètres de la gare de cette localité, au milieu des forêts qui portent son nom s’élève le village de Longchamp. Très ancien village dominé par un château du XVe siècle, encore debout.

Dès cette époque éloignée, les chartreux de Dijon qui en étaient propriétaires y fabriquaient déjà les poteries grossières du temps.  Mais ce n’est qu’en 1835 qu’un entrepreneur d’Auxonne, probablement séduit par la qualité des argiles du pays et par le bois abondant qui devait servir à la cuisson vient y fonder une tuilerie.

Cette tuilerie fut bientôt transformée quelques années plus tard en une poterie avec quatre fours pour la cuisson de la faïence commune. Cette modeste poterie fut le berceau de la Faïencerie de Longchamp.

Sous la première impulsion de MM. Robert et Marcel Charbonnier qui en deviennent propriétaires en 1868, elle est devenue l’importante manufacture d’aujourd’hui occupant plus de 300 personnes sous l’habile direction de M. Gaëtan Moisand, maire de Longchamp.

On se demande comment une manufacture si importante put ainsi, en dehors de toutes les règles d’économie la plus élémentaire, se développer à Longchamp. Si les produits du pays, l’argile et le bois, justifiaient le choix du fondateur pour la fabrication de la poterie commune, il n’en est pas de même pour les faïences d’aujourd’hui, nécessitant des matières premières spéciales venant de très loin, ainsi que de la houille indispensable au chauffage des fours.

Mais un facteur important vient à Longchamp rétablir l’équilibre. C’est celui de la main d’œuvre. Son recrutement s’opère en effet d’une manière exceptionnelle. Au milieu d’une population agricole, il s’est formé un noyau d’ouvriers faïenciers. C’est ainsi que de père en fils et même de mère en fille, comme nous le verrons tout à l’heure, toutes ces familles deviennent les collaborateurs de la Faïencerie de Longchamp. Il faut dire en effet que presque tous ces ouvriers sont devenus propriétaires des maisons qu’ils habitent et même des champs qu’ils cultivent. Profondément attachés à leur sol, ils ne cherchent pas à émigrer vers des centres plus manufacturiers.

Ce fut à la suite du discrédit jeté sur la faïence commune après l’Exposition de 1878, que MM. Charbonnier décidèrent de transformer leur usine et de fabriquer les faïences en renom, similaires aux produits de Lunéville, Creil, Choisy, etc…

Dès 1881, l’usine, complètement transformée, fabriquait toute la faïence usuelle en une pâte de granit analogue à celle de la faïence anglaise et recouverte d’émail. Puis vinrent s’adjoindre les faïences d’art et l’on vit des objets en barbotine, des vases et d’autres pièces décorées par des maîtres du pinceau, sortir de l’usine de Longchamp. Et plus tard, ce fut le genre de fleurs en haut-relief peintes en couleur de barbotine avec des fonds nuancés.

Ce fut en 1912 que les gendres de M. Robert Charbonnier, M. Joran, capitaine d’état-major et M. Moisand, avocat à la Cour d’Appel de Paris, abandonnant chacun leur situation, fondèrent la Société Anonyme de la Faïencerie de Longchamp. La direction commerciale était confiée à M. G. Moisand et M. Marcel Joran en assuma la direction technique.

De grands projets de réfection et de transformation complète, établis sur des plans d’une usine moderne, étaient en voie d’exécution lorsque la guerre éclata. MM. Joran et Moisand furent mobilisés, mais l’usine continua à fonctionner, sous la direction générale de M. Jacquemin, le directeur artistique.

Après la démobilisation, MM. Joran et Moisand reprirent chacun leur poste et commencèrent à réaliser les transformations projetées. Malheureusement, peu de temps après, en 1919, M. Joran est enlevé à l’affection des siens, à la suite d’une maladie, dont il avait rapporté les germes du front et M. Gaëtan Moisand reste seul pour assurer la direction générale de l’usine.

C’est alors que par son activité, son sens précis des affaires, son travail incessant, sa préoccupation de créer un lien étroit entre son personnel et lui, et parfaitement secondé par M. Robert Joran, ingénieur électricien, par M. Jacquemin, qui conserva la direction artistique et par tout un personnel dévoué, M. Gaëtan Moisand a donné à la Faïencerie de Longchamp le magnifique essor qui en fait aujourd’hui une fabrique de céramique comptant parmi les plus importantes de France.

Nous avons pu visiter tous les services de la Faïencerie de Longchamp. Grâce à l’amabilité de la direction, qui nous a grandement facilité notre tâche, grâce aussi aux explications si éclairées de M. Jacquemin qui fut notre guide empressé, nous avons pu nous rendre un compte exact de toutes les transformations de la pâte de faïence, depuis son origine jusqu’à son arrivée, sous la forme d’assiettes, de vases ou de garnitures de toilette, splendidement décorés, sur les rayons des Grands Magasins où ils sont offerts à la convoitise du public.

Tout d’abord, et emmagasinées dans des locaux appropriés, nous trouvons toute la série des matières premières devant servir à la confection de la pâte de faïence. L’argile plastique provenant de Saint-Loup-de-Nau, près de Provins, le kaolin venant de l’Allier, de Bretagne ou d’Angleterre ; le sable kaolinique venant des environs de Nevers, le sable quartzeux de Fontainebleau, le silex pulvérisé de Dieppe et de Mons, en Belgique ; enfin, la craie de Champagne.

L’argile plastique et le kaolin sont réduits en fragments dans un concasseur, tandis que le sable de Fontainebleau est pulvérisé dans quatre broyeurs contenant chacun 300 kilos de cailloux de silex et tournant à grande vitesse. Ballottées ainsi pendant quatorze à quinze heures, ces matières en sortant des broyeurs, présentent la finesse et l’onctuosité de la farine de froment. On effectue alors le mélange de tous les éléments nécessaires dans de vastes cuves à tamis, appelées délayeurs, dans l’intérieur desquelles un appareil malaxe et pétrit la pâte pendant cinq à six heures.

Mécaniquement cette pâte descend aux filtre-presses qui, sous une énorme pression, la débarrassent de la plus grande partie de son eau. Elle en sort sous forme de galettes très minces et de couleur grise et passe enfin au malaxeur horizontal tout nouvellement installé, duquel s’écoule, sous forme de poutre carrée de 20 centimètres de côté environ, toute la pâte employée par la Faïencerie. Ce malaxeur peut fournir journellement 8 à 10 tonnes de pâte.

Cette pâte, très onctueuse, d’une consistance comparable à celle du beurre en hiver, ainsi prête pour la fabrication, est transportée aux ateliers de moulage.

Nous avons traversé ces vastes ateliers où l’air et la lumière sont distribués à profusion, et nous avons assisté aux trois sortes de moulage employés à la fabrique, c’est-à-dire le moulage à la main, le moulage mécanique et le moulage par coulage. Chacun d’eux nous a vivement intéressé.

Sur le tour de potier bien connu, l’ouvrier modèle la pâte soit au pouce, soit au moule, à l’aide de divers outils. Par ailleurs, les tours sont mûs par des moteurs électriques, et la pâte, que lui prépare et lui passe l’apprenti, est disposée en galette dans des moules creux et travaillée par l’ouvrier à l’aide de calibres qui épousent le profil des objets à fabriquer. On moule ainsi ordinairement les grandes pièces importantes, cuvettes, pots, soupières, etc. Le moule tournant sous le calibre immobile tenu par l’ouvrier, la pâte s’élève et épouse les formes voulues, complétées par un travail approprié, suivant chaque objet.

Le procédé du coulage se fait au moyen de la pâte liquide, recueillie à la sortie des délayeurs, et qui n’a pas subi la préparation des filtres presses et du malaxeur.

Cette pâte – la barbotine – est coulée dans des moules en plâtre qui absorbent petit à petit l’eau qui y est contenue. La pâte finit par adhérer aux flancs même du moule, et séchant de plus en plus s’en détache d’elle-même.

Tous les objets ainsi fabriqués sont alors achevés et polis, ceux qui doivent être munis d’anses passent dans un atelier spécial, où des femmes habiles fabriquent celles-ci dans des moules spéciaux et les fixent à l’aide de barbotine aux emplacements voulus.

Ces pièces terminées sont portées aux sècheries où une température de 30 degrés est constamment maintenue. Elles sont déposées sur des rayons montant du sol au plafond, jusqu’à ce que, complètement sèches et déjà solides, elles deviennent d’un beau blanc mat. Elles sont ainsi prêtes pour la cuisson.

Dans d’immenses fours, ayant 1′aspect de tours cylindriques, construits en briques réfractaires, cerclés de fer, de 5 mètres de diamètre environ sur 5 mètres de hauteur, sont enfermées les pièces retirées de la sècherie et prêtes pour la cuisson.

Ces pièces sont disposées dans des cazettes, sortes de boîtes cylindriques en terre réfractaire fabriquées à l’usine, et placées de manière à occuper le moins de volume possible sans se toucher. Ces cazettes ainsi remplies, sont empilées dans le four, la porte de celui-ci est entièrement scellée, et la cuisson commence. Elle dure ordinairement quarante heures. Après cette première cuisson, on obtient ce qu’on appelle le biscuit.

Le chauffage des fours est fait au charbon ou au bois et la température est poussée jusqu’à 1000 degrés. Des ouvriers spéciaux surveillent et règlent cette température au moyen de témoins, petites pièces de forme spéciale qui se trouvent modifiées suivant le degré de chaleur. Sur les trois grands fours à biscuit existant à Longchamp, un est toujours en pleine marche, le second en refroidissement livre les pièces cuites et le troisième enfin en remplissage.

Après cette première cuisson, les faïences simples sont portées aux ateliers d’impression. Les unes pour y recevoir une décoration simple et unicolore, les autres après ce premier travail, sont envoyées aux ateliers de peinture à la main.

Nous avons longuement admiré dans ces ateliers le goût, l’habileté de tous ceux qui arrivent à donner à tous les objets qui leur sont confiés le cachet artistique qui en fait souvent des pièces remarquables.

Sous la direction d’un contremaître qui est un véritable artiste et qui prépare l’exécution des modèles imaginés et conçus par MM. Moisand et Jacquemin, nous nous arrêtons d’abord aux graveurs, qui dessinent en taille-douce les plaques de cuivre devant servir à l’impression des bandes destinées à la décoration de la vaisselle. Les dessins appelés à être coloriés sont indiqués par des blancs alors que ceux qui ne doivent être impressionnés que d’une seule couleur sont entièrement gravés.

Ces planches terminées passent à l’impression, l’ouvrier les enduit de la couleur choisie et en tire des épreuves sur papier pelure au moyen de presses à cylindre. Ces bandes de papier sont découpées, puis collées sur les pièces à décorer et tamponnées par des ouvrières ayant chacune leur travail distinct et toujours semblable. Aussi y acquièrent-elles une grande dextérité permettant un plus grand rendement. Lavées et débarrassées du papier, ces pièces ainsi décorées sont prêtes pour le four-tunnel.

Quant aux pièces impressionnées et qui doivent recevoir diverses couleurs, elles sont mises aux mains d’ouvrières qui, d’un léger coup de pinceau, ont bientôt fait d’y appliquer la gamme des couleurs choisies. C’est dans cet atelier où de toutes jeunes filles commencent à côté de leur mère, leur apprentissage. Elles ne peuvent être à meilleure école pour devenir plus tard elles-mêmes d’habiles artistes.

Mais notre court exposé de cet atelier, si intéressant, serait bien incomplet si nous ne signalions pas la décoration des beaux émaux cloisonnés. Là nous avons été réellement séduits et émerveillés de voir ces jeunes paysannes de Longchamp ou des environs peignant avec un art et une sûreté de main incroyables les divers sujets, feuilles, fleurs, fruits, arabesques, etc., ou simplement esquissés.

Il faut voir avec quelle habilité elles déposent, au moyen d’un petit appareil spécial, ce mince filet de barbotine entourant les lignes du dessin auquel elles donnent souvent une tournure bien personnelle et qui constitue les cloisons des émaux. Cette même pièce passe tour à tour jusqu’à son complet achèvement entre les mains de chaque ouvrière chargée d’y appliquer les tons divers, avec leurs teintes dégradées ainsi que les couleurs décorant les fonds plus ou moins ornés. Toutes ces pièces passent alors au four-tunnel, innovation datant de 1920. Placées dans un chariot, ces faïences traversent lentement sur des rails pendant une durée de 7 à 15 minutes, ce four chauffé à 650 degrés. Elles en ressortent recuites et complètement dégraissées.

Ainsi terminées et retouchées, après être passées au bain d’émaillage, ces pièces sont placées à nouveau dans des cazettes pour la deuxième cuisson. Celle-ci est effectuée dans des fours chauffés à 1060 degrés. Les pièces comportant des dorures reçoivent les filets or d’ouvriers spécialistes et sont recuites une troisième fois.

Complètement achevés, tous les objets ainsi fabriqués sont passés au « choisissage » d’où sont écartées celles présentant quelque défectuosité, les autres, après un dernier polissage, sont envoyées au magasin pour être classées par catégories.

Nous jetons un coup d’oeil en passant sur les salles d’emballage, où ces pièces fragiles doivent être emballées avec un soin tout particulier. De nombreux ouvriers et ouvrières y sont constamment occupés. Des cadres énormes démontables en cinq parties y reçoivent les grosses commandes, celles de moindre importance étant emballées dans des harasses ou caisses ordinaires.

Toutes ces commandes sont expédiées à la nombreuse clientèle de la Faïencerie de Longchamp qui comporte tous les grands magasins de Paris : Louvre, Bon Marché, Bazar de l’Hôtel de Ville, etc..etc.. et une grosse clientèle en province et à l’étranger.

Trente chevaux et mulets sont constamment occupés aux transports entre Longchamp et Genlis. Par l’organisation de ses ateliers, la Faïencerie de Longchamp peut répondre à toutes les demandes qu’elle reçoit. Elle est outillée pour pouvoir fabriquer et sortir plus de 500 garnitures de toilette par jour. Ces garnitures de toilette, avec la fabrication des services de table demi-luxe, genre Strasbourg, vieux Rouen, etc.., et les vases artistiques, sont des spécialités de la Faïencerie de Longchamp.

En sortant des ateliers de fabrication, notre curiosité est appelée à visiter les installations toutes modernes entièrement créées par M. G. Moisand et fournissant à tous les services de l’usine la force et la lumière qui leur sont nécessaires.

A 150 mètres environ des ateliers de fabrication, sur les rives de l’Arnison, dans un bâtiment spécial en ciment armé, se trouve la Centrale Electrique. Au rez-de-chaussée, une chaudière dernier modèle, alimente une machine Cail à condensation, établie au premier étage. Celle-ci est accouplée à une génératrice à courant continu qui produit une intensité de 500  ampères, sous une tension de 125 volts, soit 80 HP environ.

En outre, une double batterie d’accumulateurs, l’une en fonctionnement, l’autre en secours, donnant 150 ampères-heures, fournissent la lumière à l’habitation du directeur, des ingénieurs, aux halls, aux ateliers et même dans le village, aux habitations des  contremaîtres et ouvriers.

Les anciennes machines et chaudières ont été remises à neuf et conservées soigneusement pour servir de matériel de secours. L’eau, dont on use en abondance dans la fabrication est, élevée par une pompe puissante dans un bac-réservoir d’une contenance de 4000 litres.

Dans les ateliers annexes construits entre les splendides jardins qui entourent la propriété personnelle du Directeur Général, sans pour cela en diminuer l’esthétique, nous visitons les ateliers de mécanique, d’électricité, de charpente, de menuiserie , et mêrne de couverture. A Longchamp , en effet, tous les corps de métier sont représentés, l’usine fabriquant tout ce qui lui est nécessaire et se suffisant ainsi à elle-même.

Le service contre un incendie toujours possible est assuré par un corps de pompiers, habillé et équipé comme les pompiers de Paris. Très entraînés et toujours en alerte, ils peuvent, en quelques minutes, mettre en batterie une puissante moto-pompe. Avec ses quatre lances pouvant débiter 20 000 litres d’eau à l’heure, cette pompe peut noyer tout commencement d’incendie sur n’importe quel point de l’usine.

Nous remercions vivement M. Jacquemin de nous avoir initié à toute la fabrication de la faïence et de nous avoir piloté dans notre si intéressante visite. Nous sommes heureux de pouvoir le féliciter personnellement pour toutes les créations artistiques qu’il a fait exécuter.

Il nous semble pourtant que nous n’aurions accompli qu’une partie de notre tâche si nous terminions ici notre exposé.

Nous ne pouvons, en effet, passer sous silence toutes les oeuvres sociales crées ou développées par l’actif Directeur Général de la Faïencerie de Longchamp, M. Gaëtan Moisand, qui a réalisé, dans ce petit village isolé, une étroite relation entre ses ouvriers et lui, où il a su se faire aimer en considérant tout son personnel comme ses collaborateurs, depuis la direction jusqu’au plus petit de ses apprentis.

Aussi, jamais de grève à Longchamp. Le personnel y demeure toute sa vie, y fonde une famille, €et ses enfants deviendront à leur tour les ouvriers qui continueront, par leur habileté professionnelle, à contribuer à la renommée chaque jour de plus en plus grande de la Faiencerie de Longcharnp.

Des salles de bains avec appareils  sont aménagées et mises à la disposition des ouvriers. Pour ceux qui habitent hors de Longchamp et viennent travailler à la fabrique, il a été installé une salle de repos avec cantine, où  ils peuvent  prendre leur repas et passer leur temps en dehors des heures de travail.

Une Société de Secours Mutuels a été fondée et fonctionne depuis le 10 août 1882.

Signalons que, depuis la fondation de l’usine, jamais un ouvrier n’a fait vainement appel, en cas de nécessité urgente, à la bonté de son directeur. Un des leurs est-il malade la nuit, ou a-t-il besoin de soins urgents ?  Il suffit de frapper, à n’importe quelle heure, à la porte de la villa patronale pour qu’aussitôt une automobile parte chercher le médecin ou les médicaments nécessaires.

Parlons maintenant de la Fanfare de la Faïencerie de Longchamp, dont la réputation n’est plus à faire. Fondée en 1889, elle est devenue une des premières de France. Classée division supérieure, elle a remporté de nombreux prix dans tous les concours, tant en France qu’à I’étranger, où elle s’est fait entendre avec gros succès, comme à  Lausanne, Genève, Evian, etc.

Cette fanfare, qui comptait avant 1914 soixante exécutants, a vu ses rangs décimés par la guerre. Elle compte actuellement cinquante exécutants, dont vingt nouveaux qui ont été formés à Longchamp même.

Comme nous l’avons dit plus haut, les anciens ouvriers de Longchamp sont devenus eux-mêmes propriétaires de leur petite maison, mais il fallait songer à loger les nouveaux qui venaient travailler à la fabrique, dont l’extension demandait une main-d’œuvre de plus en plus importante. M. G.Moisand ne les oublia pas et, sur les plans de M. Robert, architecte à Dijon, fit construire de vrais petites villas comportant, suivant l’importance de la famille de l’ouvrier, trois à quatre pièces, avec cave, bucher, jardin, eau, électricité fournie par l’usine. Des maisons plus grandes, destinées aux contremaîtres, sont également construites et se composent de trois pièces au rez-de-chaussée, deux au premier étage, av€ec deux débarras, grenier, évier, etc.

Suivant l’exemple de leur père, M. G. Moisand, cherchant toujours à améliorer la situation sociale de l’ouvrier, Mlles Yvonne et Christiane Moisand ont fondé et dirigent elles-mêmes, de leurs deniers personnels et leur travail, l’Oeuvre du Trousseau, ayant pour objet …. nouveaux-nés du personnel de la fabrique.

C’est ainsi, en considérant ses ouvriers comme les membres d’une grande famille dont il serait le chef et en associant les siens à ses œuvres de portée sociale, que M. G. Moisand a su trouver et conserver près de lui des ouvriers qui, trouvant à la fabrique tout le bien-être possible, y demeurent, y apportent leur habileté professionnelle et travaillent tous sans arrière-pensée et avec goût au développement et à la prospérité de la Faïencerie de Longchamp.

Nous devons signaler aussi que l’usine de Longchamp est placée sous la protection de saint Antoine de Padoue, patron des faïenciers. Aussi, au mois de juin, pour la fête de saint Antoine, M. Moisand donne, dans sa propriété, sur ces superbes pelouses qui entourent sa belle villa, une fête, à laquelle sont conviés tous les ouvriers de l’usine. Après une grand’messe en musique, exécutée par la Fanfare de Longchamp, un grand banquet réunit tous les ouvriers et le personnel de l’usine autour de M. Moisand et de sa famille. Une matinée artistique, où sont appelées à venir se faire entendre les plus grandes vedettes des grands théâtres de Paris : Opéra, Opéra-comique, Français, etc. , a lieu et précède un bal à grand orchestre qui clôt ces fêtes magnifiques. Une autre fête, mais de moindre importanc€e,  est donnée par la Fanfare de la Faïencerie de Longchamp pour la Sainte-Cécile.

Nous terminerons ici notre courte monographie de la Faïencerie de Longchamp en disant toutefois que ce chef d’industrie éclairé qu’est M. Gaëtan Moisand a su trouver la solution du problème social en agissant de façon à conquérir le cœur de tous ses collaborateurs, petits et grands.

Moustiers

Moustiers

À la suite de problèmes cardiaques, sur le conseil de son médecin, Henry Moisand et son épouse Paule décident de quitter leur lieu de vacances en Haute-Savoie pour une région moins montagneuse. Aussi, à partir de 1969, descendent-ils par la route Napoléon, se passionnant successivement pour Embrun, puis Sisteron et, enfin, Moustiers-Sainte-Marie, magnifique village dans son écrin de rochers, au pied des Alpes de Haute-Provence.

Le coup de foudre est immédiat. Tout est là. La faïence, la beauté biblique des paysages de Provence, l’histoire, celle de la faïence de Moustiers, dont la mémoire a été sauvée par Marcel Provence, et même celle de la famille, qui se découvre des ancêtres originaires du lieu.

En quelques années, sous son impulsion, plusieurs jeunes de Moustiers partent au lycée de Longchamp parfaire leur formation. Ils reviendront, parfois avec un compagnon ou une compagne de promotion, incarner le renouveau de la faïence de Moustiers, dans le respect de ses traditions du XVI°au XVIII°. Les ateliers se développent, Lallier, Bondil, Saint-Michel, etc.

Parmi les représentants de cette fièvre de renouveau créatif, citons les ateliers de Segriès (devenus Ateliers du Soleil). Installés à côté de l’austère beauté d’un monastère désaffecté, en pleine nature, ces ateliers incarnent ce qu’Henry Moisand avait pressenti, à savoir l’avenir de la faïence de qualité. Lui qui avait peiné toute sa carrière à fédérer les industries des arts de la table et leurs branches artisanales, voire artistiques, voit surgir le modèle économique du futur. Un atelier d’une quinzaine de personnes, un catalogue ancré dans la tradition, teinté de nombreuses innovations, une exigence constante d’extrême qualité, une vision mondiale de la commercialisation (exportations aux USA). C’est bien ce qu’il nous avait souvent décrit comme l’avenir de la faïence de qualité, à côté de la production de masse.