Moustiers et Longchamp, une longue histoire…

Moustiers et Longchamp, une longue histoire…

« C’est à Moustiers, par un concours de circonstances providentiel, que s’établira le lien le plus sûr avec la table et la gastronomie.

En effet, Clérissy (fayencier, maître faiseur de fayence) fabrique déjà à Moustiers de très beaux plats en faïence et maîtrise admirablement à la fois le grand feu et les décors en camaïeu bleu d’une tonalité plus claire que le Rouen, couleur qui ne dépasse jamais ses limites et n’a jamais bavé sur l’émail (musée de Dijon).

L’émail de Clérissy est à la fois gras, plus léger et laisse percevoir cette terre fine moustérienne que les flammes, en la caressant, rosissent agréablement. Les pièces vibrent et sonnent plus de 20 secondes comme des cloches.

Toutes les conditions sont réunies pour recevoir les décors des vaisselles d’or et d’argent et en majorité dans leur dimension, c’est-à-dire 220 à 250 millimètres. C’est la dimension de l’assiette et, du même coup, les premières assiettes sont en faïence.

Bérain, ciseleur à l’origine, devenu architecte ordinaire du roi Louis XIV, possède tous les « poncifs » des ciseleurs et des blasons, il les transmet à Clérissy, qui a donné à la faïence pendant les 25 dernières années du Grand Siècle ses plus beaux titres de noblesse. Clérissy sera anobli par le roi (Comte de Roumoules).

Ainsi s’établira le premier lien solide entre la gastronomie et la faïence.

Pendant ces 25 années, les maîtresses de maison de nos châteaux et de nos hôtels, qui reçoivent beaucoup, ont apporté de plus en plus de raffinement à la table et à leurs menus d’une plantureuse abondance. Elles réalisent très vite que la grâce de l’accueil, sans négliger certes la qualité de la chère, peuvent passionner et épanouir une maîtresse de maison avertie. Le contact qu’elles ont gardé avec Moustiers, grâce à Bérain, permet d’établir dès1738 le deuxième lien définitif entre la faïence et la gastronomie :

En effet, Olérys revient d’Espagne (Alcora) avec une très belle palette polychrome (jaune, orange, jaune citron, ocre associé au bleu et vert). Il possède un talent prodigieux de décorateur et s’attache à faire vivre la table par ses décors à guirlandes de fleurs et à médaillons, par ses fameux grotesques et combien d’autres motifs tellement simples et naïfs qu’ils trouvent naturellement leur place à table (fleurs des champs, papillons etc…). Ils expriment tous une grande allégresse de mouvement.

Si j’ai insisté sur les faïences de Moustiers, c’est parce qu’elles sont d’une qualité exceptionnelle de matériaux : sonorité, émail blanc laiteux d’un éclat incomparable et surtout qu’elles représentent les créations les plus originales de décors pensés et conçus pour la table française et sa gastronomie. » [Henry Moisand, intervention à la Commanderie des Cordons Bleus 1966].

Voir sur le site www.académie-de-moustiers un résumé illustré des principaux décors : https://www.academie-de-moustiers.com/les-decors-principaux.html

Henry Moisand et Moustiers
À la suite de problèmes cardiaques, sur le conseil de son médecin, Henry Moisand et son épouse Paule décident de quitter leur lieu de vacances en Haute-Savoie pour une région moins montagneuse. Aussi, à partir de 1969, descendent-ils par la route Napoléon, se passionnant successivement pour Embrun, puis Sisteron et, enfin, Moustiers-Sainte-Marie, magnifique village dans son écrin de rochers, au pied des Alpes de Haute-Provence.

Le coup de foudre est immédiat. Tout est là. La beauté biblique des paysages de Provence, l’histoire, celle de la faïence de Moustiers, dont la mémoire a été sauvée par Marcel Provence, et même celle de la famille, qui se découvre des ancêtres originaires du lieu. Pourtant, à quelques exceptions près, la production du village se limite trop souvent à satisfaire les touristes de passage : cigales-cendriers, objets en terre cuite, etc. sans beaucoup de rapport avec le Moustiers du XVIII° siècle.

En quelques années, sous son impulsion, plusieurs jeunes de Moustiers partent au lycée de Longchamp parfaire se former. Ils reviendront, parfois avec un compagnon ou une compagne de promotion, incarner le renouveau de la faïence de Moustiers, dans le respect de ses traditions du XVI° siècle au XVIII° siècle. Les ateliers se développent, Lallier, Bondil, Saint-Michel, etc.

Parmi les représentants de cette fièvre de renouveau créatif, citons les ateliers de Segriès (devenus Ateliers du Soleil). Installés à côté de l’austère beauté d’un monastère désaffecté, en pleine nature, ces ateliers incarnent ce qu’Henry Moisand avait pressenti, à savoir l’avenir de la faïence de qualité. Lui qui avait peiné toute sa carrière à fédérer les industries des arts de la table et les ateliers artisanaux, voire artistiques, voit surgir le modèle économique du futur. Un atelier d’une quinzaine de personnes, un catalogue ancré dans la tradition, augmenté de nombreuses innovations, une exigence constante d’extrême qualité, une vision mondiale de la commercialisation (exportations aux USA). C’est bien ce qu’il avait souvent décrit étant comme l’avenir de la faïence de qualité, à côté de la production de masse.

Un article de 1923 détaille l’ensemble de la fabrication à Longchamp

Un article de 1923 détaille l’ensemble de la fabrication à Longchamp (conservé à la Bibliothèque municipale de Dijon)

Dans la plaine de Genlis à 6 kilomètres de la gare de cette localité, au milieu des forêts qui portent son nom s’élève le village de Longchamp. Très ancien village dominé par un château du XVe siècle, encore debout.

Dès cette époque éloignée, les chartreux de Dijon qui en étaient propriétaires y fabriquaient déjà les poteries grossières du temps.  Mais ce n’est qu’en 1835 qu’un entrepreneur d’Auxonne, probablement séduit par la qualité des argiles du pays et par le bois abondant qui devait servir à la cuisson vient y fonder une tuilerie.

Cette tuilerie fut bientôt transformée quelques années plus tard en une poterie avec quatre fours pour la cuisson de la faïence commune. Cette modeste poterie fut le berceau de la Faïencerie de Longchamp.

Sous la première impulsion de MM. Robert et Marcel Charbonnier qui en deviennent propriétaires en 1868, elle est devenue l’importante manufacture d’aujourd’hui occupant plus de 300 personnes sous l’habile direction de M. Gaëtan Moisand, maire de Longchamp.

On se demande comment une manufacture si importante put ainsi, en dehors de toutes les règles d’économie la plus élémentaire, se développer à Longchamp. Si les produits du pays, l’argile et le bois, justifiaient le choix du fondateur pour la fabrication de la poterie commune, il n’en est pas de même pour les faïences d’aujourd’hui, nécessitant des matières premières spéciales venant de très loin, ainsi que de la houille indispensable au chauffage des fours.

Mais un facteur important vient à Longchamp rétablir l’équilibre. C’est celui de la main d’œuvre. Son recrutement s’opère en effet d’une manière exceptionnelle. Au milieu d’une population agricole, il s’est formé un noyau d’ouvriers faïenciers. C’est ainsi que de père en fils et même de mère en fille, comme nous le verrons tout à l’heure, toutes ces familles deviennent les collaborateurs de la Faïencerie de Longchamp. Il faut dire en effet que presque tous ces ouvriers sont devenus propriétaires des maisons qu’ils habitent et même des champs qu’ils cultivent. Profondément attachés à leur sol, ils ne cherchent pas à émigrer vers des centres plus manufacturiers.

Ce fut à la suite du discrédit jeté sur la faïence commune après l’Exposition de 1878, que MM. Charbonnier décidèrent de transformer leur usine et de fabriquer les faïences en renom, similaires aux produits de Lunéville, Creil, Choisy, etc…

Dès 1881, l’usine, complètement transformée, fabriquait toute la faïence usuelle en une pâte de granit analogue à celle de la faïence anglaise et recouverte d’émail. Puis vinrent s’adjoindre les faïences d’art et l’on vit des objets en barbotine, des vases et d’autres pièces décorées par des maîtres du pinceau, sortir de l’usine de Longchamp. Et plus tard, ce fut le genre de fleurs en haut-relief peintes en couleur de barbotine avec des fonds nuancés.

Ce fut en 1912 que les gendres de M. Robert Charbonnier, M. Joran, capitaine d’état-major et M. Moisand, avocat à la Cour d’Appel de Paris, abandonnant chacun leur situation, fondèrent la Société Anonyme de la Faïencerie de Longchamp. La direction commerciale était confiée à M. G. Moisand et M. Marcel Joran en assuma la direction technique.

De grands projets de réfection et de transformation complète, établis sur des plans d’une usine moderne, étaient en voie d’exécution lorsque la guerre éclata. MM. Joran et Moisand furent mobilisés, mais l’usine continua à fonctionner, sous la direction générale de M. Jacquemin, le directeur artistique.

Après la démobilisation, MM. Joran et Moisand reprirent chacun leur poste et commencèrent à réaliser les transformations projetées. Malheureusement, peu de temps après, en 1919, M. Joran est enlevé à l’affection des siens, à la suite d’une maladie, dont il avait rapporté les germes du front et M. Gaëtan Moisand reste seul pour assurer la direction générale de l’usine.

C’est alors que par son activité, son sens précis des affaires, son travail incessant, sa préoccupation de créer un lien étroit entre son personnel et lui, et parfaitement secondé par M. Robert Joran, ingénieur électricien, par M. Jacquemin, qui conserva la direction artistique et par tout un personnel dévoué, M. Gaëtan Moisand a donné à la Faïencerie de Longchamp le magnifique essor qui en fait aujourd’hui une fabrique de céramique comptant parmi les plus importantes de France.

Nous avons pu visiter tous les services de la Faïencerie de Longchamp. Grâce à l’amabilité de la direction, qui nous a grandement facilité notre tâche, grâce aussi aux explications si éclairées de M. Jacquemin qui fut notre guide empressé, nous avons pu nous rendre un compte exact de toutes les transformations de la pâte de faïence, depuis son origine jusqu’à son arrivée, sous la forme d’assiettes, de vases ou de garnitures de toilette, splendidement décorés, sur les rayons des Grands Magasins où ils sont offerts à la convoitise du public.

Tout d’abord, et emmagasinées dans des locaux appropriés, nous trouvons toute la série des matières premières devant servir à la confection de la pâte de faïence. L’argile plastique provenant de Saint-Loup-de-Nau, près de Provins, le kaolin venant de l’Allier, de Bretagne ou d’Angleterre ; le sable kaolinique venant des environs de Nevers, le sable quartzeux de Fontainebleau, le silex pulvérisé de Dieppe et de Mons, en Belgique ; enfin, la craie de Champagne.

L’argile plastique et le kaolin sont réduits en fragments dans un concasseur, tandis que le sable de Fontainebleau est pulvérisé dans quatre broyeurs contenant chacun 300 kilos de cailloux de silex et tournant à grande vitesse. Ballottées ainsi pendant quatorze à quinze heures, ces matières en sortant des broyeurs, présentent la finesse et l’onctuosité de la farine de froment. On effectue alors le mélange de tous les éléments nécessaires dans de vastes cuves à tamis, appelées délayeurs, dans l’intérieur desquelles un appareil malaxe et pétrit la pâte pendant cinq à six heures.

Mécaniquement cette pâte descend aux filtre-presses qui, sous une énorme pression, la débarrassent de la plus grande partie de son eau. Elle en sort sous forme de galettes très minces et de couleur grise et passe enfin au malaxeur horizontal tout nouvellement installé, duquel s’écoule, sous forme de poutre carrée de 20 centimètres de côté environ, toute la pâte employée par la Faïencerie. Ce malaxeur peut fournir journellement 8 à 10 tonnes de pâte.

Cette pâte, très onctueuse, d’une consistance comparable à celle du beurre en hiver, ainsi prête pour la fabrication, est transportée aux ateliers de moulage.

Nous avons traversé ces vastes ateliers où l’air et la lumière sont distribués à profusion, et nous avons assisté aux trois sortes de moulage employés à la fabrique, c’est-à-dire le moulage à la main, le moulage mécanique et le moulage par coulage. Chacun d’eux nous a vivement intéressé.

Sur le tour de potier bien connu, l’ouvrier modèle la pâte soit au pouce, soit au moule, à l’aide de divers outils. Par ailleurs, les tours sont mûs par des moteurs électriques, et la pâte, que lui prépare et lui passe l’apprenti, est disposée en galette dans des moules creux et travaillée par l’ouvrier à l’aide de calibres qui épousent le profil des objets à fabriquer. On moule ainsi ordinairement les grandes pièces importantes, cuvettes, pots, soupières, etc. Le moule tournant sous le calibre immobile tenu par l’ouvrier, la pâte s’élève et épouse les formes voulues, complétées par un travail approprié, suivant chaque objet.

Le procédé du coulage se fait au moyen de la pâte liquide, recueillie à la sortie des délayeurs, et qui n’a pas subi la préparation des filtres presses et du malaxeur.

Cette pâte – la barbotine – est coulée dans des moules en plâtre qui absorbent petit à petit l’eau qui y est contenue. La pâte finit par adhérer aux flancs même du moule, et séchant de plus en plus s’en détache d’elle-même.

Tous les objets ainsi fabriqués sont alors achevés et polis, ceux qui doivent être munis d’anses passent dans un atelier spécial, où des femmes habiles fabriquent celles-ci dans des moules spéciaux et les fixent à l’aide de barbotine aux emplacements voulus.

Ces pièces terminées sont portées aux sècheries où une température de 30 degrés est constamment maintenue. Elles sont déposées sur des rayons montant du sol au plafond, jusqu’à ce que, complètement sèches et déjà solides, elles deviennent d’un beau blanc mat. Elles sont ainsi prêtes pour la cuisson.

Dans d’immenses fours, ayant 1′aspect de tours cylindriques, construits en briques réfractaires, cerclés de fer, de 5 mètres de diamètre environ sur 5 mètres de hauteur, sont enfermées les pièces retirées de la sècherie et prêtes pour la cuisson.

Ces pièces sont disposées dans des cazettes, sortes de boîtes cylindriques en terre réfractaire fabriquées à l’usine, et placées de manière à occuper le moins de volume possible sans se toucher. Ces cazettes ainsi remplies, sont empilées dans le four, la porte de celui-ci est entièrement scellée, et la cuisson commence. Elle dure ordinairement quarante heures. Après cette première cuisson, on obtient ce qu’on appelle le biscuit.

Le chauffage des fours est fait au charbon ou au bois et la température est poussée jusqu’à 1000 degrés. Des ouvriers spéciaux surveillent et règlent cette température au moyen de témoins, petites pièces de forme spéciale qui se trouvent modifiées suivant le degré de chaleur. Sur les trois grands fours à biscuit existant à Longchamp, un est toujours en pleine marche, le second en refroidissement livre les pièces cuites et le troisième enfin en remplissage.

Après cette première cuisson, les faïences simples sont portées aux ateliers d’impression. Les unes pour y recevoir une décoration simple et unicolore, les autres après ce premier travail, sont envoyées aux ateliers de peinture à la main.

Nous avons longuement admiré dans ces ateliers le goût, l’habileté de tous ceux qui arrivent à donner à tous les objets qui leur sont confiés le cachet artistique qui en fait souvent des pièces remarquables.

Sous la direction d’un contremaître qui est un véritable artiste et qui prépare l’exécution des modèles imaginés et conçus par MM. Moisand et Jacquemin, nous nous arrêtons d’abord aux graveurs, qui dessinent en taille-douce les plaques de cuivre devant servir à l’impression des bandes destinées à la décoration de la vaisselle. Les dessins appelés à être coloriés sont indiqués par des blancs alors que ceux qui ne doivent être impressionnés que d’une seule couleur sont entièrement gravés.

Ces planches terminées passent à l’impression, l’ouvrier les enduit de la couleur choisie et en tire des épreuves sur papier pelure au moyen de presses à cylindre. Ces bandes de papier sont découpées, puis collées sur les pièces à décorer et tamponnées par des ouvrières ayant chacune leur travail distinct et toujours semblable. Aussi y acquièrent-elles une grande dextérité permettant un plus grand rendement. Lavées et débarrassées du papier, ces pièces ainsi décorées sont prêtes pour le four-tunnel.

Quant aux pièces impressionnées et qui doivent recevoir diverses couleurs, elles sont mises aux mains d’ouvrières qui, d’un léger coup de pinceau, ont bientôt fait d’y appliquer la gamme des couleurs choisies. C’est dans cet atelier où de toutes jeunes filles commencent à côté de leur mère, leur apprentissage. Elles ne peuvent être à meilleure école pour devenir plus tard elles-mêmes d’habiles artistes.

Mais notre court exposé de cet atelier, si intéressant, serait bien incomplet si nous ne signalions pas la décoration des beaux émaux cloisonnés. Là nous avons été réellement séduits et émerveillés de voir ces jeunes paysannes de Longchamp ou des environs peignant avec un art et une sûreté de main incroyables les divers sujets, feuilles, fleurs, fruits, arabesques, etc., ou simplement esquissés.

Il faut voir avec quelle habilité elles déposent, au moyen d’un petit appareil spécial, ce mince filet de barbotine entourant les lignes du dessin auquel elles donnent souvent une tournure bien personnelle et qui constitue les cloisons des émaux. Cette même pièce passe tour à tour jusqu’à son complet achèvement entre les mains de chaque ouvrière chargée d’y appliquer les tons divers, avec leurs teintes dégradées ainsi que les couleurs décorant les fonds plus ou moins ornés. Toutes ces pièces passent alors au four-tunnel, innovation datant de 1920. Placées dans un chariot, ces faïences traversent lentement sur des rails pendant une durée de 7 à 15 minutes, ce four chauffé à 650 degrés. Elles en ressortent recuites et complètement dégraissées.

Ainsi terminées et retouchées, après être passées au bain d’émaillage, ces pièces sont placées à nouveau dans des cazettes pour la deuxième cuisson. Celle-ci est effectuée dans des fours chauffés à 1060 degrés. Les pièces comportant des dorures reçoivent les filets or d’ouvriers spécialistes et sont recuites une troisième fois.

Complètement achevés, tous les objets ainsi fabriqués sont passés au « choisissage » d’où sont écartées celles présentant quelque défectuosité, les autres, après un dernier polissage, sont envoyées au magasin pour être classées par catégories.

Nous jetons un coup d’oeil en passant sur les salles d’emballage, où ces pièces fragiles doivent être emballées avec un soin tout particulier. De nombreux ouvriers et ouvrières y sont constamment occupés. Des cadres énormes démontables en cinq parties y reçoivent les grosses commandes, celles de moindre importance étant emballées dans des harasses ou caisses ordinaires.

Toutes ces commandes sont expédiées à la nombreuse clientèle de la Faïencerie de Longchamp qui comporte tous les grands magasins de Paris : Louvre, Bon Marché, Bazar de l’Hôtel de Ville, etc..etc.. et une grosse clientèle en province et à l’étranger.

Trente chevaux et mulets sont constamment occupés aux transports entre Longchamp et Genlis. Par l’organisation de ses ateliers, la Faïencerie de Longchamp peut répondre à toutes les demandes qu’elle reçoit. Elle est outillée pour pouvoir fabriquer et sortir plus de 500 garnitures de toilette par jour. Ces garnitures de toilette, avec la fabrication des services de table demi-luxe, genre Strasbourg, vieux Rouen, etc.., et les vases artistiques, sont des spécialités de la Faïencerie de Longchamp.

En sortant des ateliers de fabrication, notre curiosité est appelée à visiter les installations toutes modernes entièrement créées par M. G. Moisand et fournissant à tous les services de l’usine la force et la lumière qui leur sont nécessaires.

A 150 mètres environ des ateliers de fabrication, sur les rives de l’Arnison, dans un bâtiment spécial en ciment armé, se trouve la Centrale Electrique. Au rez-de-chaussée, une chaudière dernier modèle, alimente une machine Cail à condensation, établie au premier étage. Celle-ci est accouplée à une génératrice à courant continu qui produit une intensité de 500  ampères, sous une tension de 125 volts, soit 80 HP environ.

En outre, une double batterie d’accumulateurs, l’une en fonctionnement, l’autre en secours, donnant 150 ampères-heures, fournissent la lumière à l’habitation du directeur, des ingénieurs, aux halls, aux ateliers et même dans le village, aux habitations des  contremaîtres et ouvriers.

Les anciennes machines et chaudières ont été remises à neuf et conservées soigneusement pour servir de matériel de secours. L’eau, dont on use en abondance dans la fabrication est, élevée par une pompe puissante dans un bac-réservoir d’une contenance de 4000 litres.

Dans les ateliers annexes construits entre les splendides jardins qui entourent la propriété personnelle du Directeur Général, sans pour cela en diminuer l’esthétique, nous visitons les ateliers de mécanique, d’électricité, de charpente, de menuiserie , et mêrne de couverture. A Longchamp , en effet, tous les corps de métier sont représentés, l’usine fabriquant tout ce qui lui est nécessaire et se suffisant ainsi à elle-même.

Le service contre un incendie toujours possible est assuré par un corps de pompiers, habillé et équipé comme les pompiers de Paris. Très entraînés et toujours en alerte, ils peuvent, en quelques minutes, mettre en batterie une puissante moto-pompe. Avec ses quatre lances pouvant débiter 20 000 litres d’eau à l’heure, cette pompe peut noyer tout commencement d’incendie sur n’importe quel point de l’usine.

Nous remercions vivement M. Jacquemin de nous avoir initié à toute la fabrication de la faïence et de nous avoir piloté dans notre si intéressante visite. Nous sommes heureux de pouvoir le féliciter personnellement pour toutes les créations artistiques qu’il a fait exécuter.

Il nous semble pourtant que nous n’aurions accompli qu’une partie de notre tâche si nous terminions ici notre exposé.

Nous ne pouvons, en effet, passer sous silence toutes les oeuvres sociales crées ou développées par l’actif Directeur Général de la Faïencerie de Longchamp, M. Gaëtan Moisand, qui a réalisé, dans ce petit village isolé, une étroite relation entre ses ouvriers et lui, où il a su se faire aimer en considérant tout son personnel comme ses collaborateurs, depuis la direction jusqu’au plus petit de ses apprentis.

Aussi, jamais de grève à Longchamp. Le personnel y demeure toute sa vie, y fonde une famille, €et ses enfants deviendront à leur tour les ouvriers qui continueront, par leur habileté professionnelle, à contribuer à la renommée chaque jour de plus en plus grande de la Faiencerie de Longcharnp.

Des salles de bains avec appareils  sont aménagées et mises à la disposition des ouvriers. Pour ceux qui habitent hors de Longchamp et viennent travailler à la fabrique, il a été installé une salle de repos avec cantine, où  ils peuvent  prendre leur repas et passer leur temps en dehors des heures de travail.

Une Société de Secours Mutuels a été fondée et fonctionne depuis le 10 août 1882.

Signalons que, depuis la fondation de l’usine, jamais un ouvrier n’a fait vainement appel, en cas de nécessité urgente, à la bonté de son directeur. Un des leurs est-il malade la nuit, ou a-t-il besoin de soins urgents ?  Il suffit de frapper, à n’importe quelle heure, à la porte de la villa patronale pour qu’aussitôt une automobile parte chercher le médecin ou les médicaments nécessaires.

Parlons maintenant de la Fanfare de la Faïencerie de Longchamp, dont la réputation n’est plus à faire. Fondée en 1889, elle est devenue une des premières de France. Classée division supérieure, elle a remporté de nombreux prix dans tous les concours, tant en France qu’à I’étranger, où elle s’est fait entendre avec gros succès, comme à  Lausanne, Genève, Evian, etc.

Cette fanfare, qui comptait avant 1914 soixante exécutants, a vu ses rangs décimés par la guerre. Elle compte actuellement cinquante exécutants, dont vingt nouveaux qui ont été formés à Longchamp même.

Comme nous l’avons dit plus haut, les anciens ouvriers de Longchamp sont devenus eux-mêmes propriétaires de leur petite maison, mais il fallait songer à loger les nouveaux qui venaient travailler à la fabrique, dont l’extension demandait une main-d’œuvre de plus en plus importante. M. G.Moisand ne les oublia pas et, sur les plans de M. Robert, architecte à Dijon, fit construire de vrais petites villas comportant, suivant l’importance de la famille de l’ouvrier, trois à quatre pièces, avec cave, bucher, jardin, eau, électricité fournie par l’usine. Des maisons plus grandes, destinées aux contremaîtres, sont également construites et se composent de trois pièces au rez-de-chaussée, deux au premier étage, av€ec deux débarras, grenier, évier, etc.

Suivant l’exemple de leur père, M. G. Moisand, cherchant toujours à améliorer la situation sociale de l’ouvrier, Mlles Yvonne et Christiane Moisand ont fondé et dirigent elles-mêmes, de leurs deniers personnels et leur travail, l’Oeuvre du Trousseau, ayant pour objet …. nouveaux-nés du personnel de la fabrique.

C’est ainsi, en considérant ses ouvriers comme les membres d’une grande famille dont il serait le chef et en associant les siens à ses œuvres de portée sociale, que M. G. Moisand a su trouver et conserver près de lui des ouvriers qui, trouvant à la fabrique tout le bien-être possible, y demeurent, y apportent leur habileté professionnelle et travaillent tous sans arrière-pensée et avec goût au développement et à la prospérité de la Faïencerie de Longchamp.

Nous devons signaler aussi que l’usine de Longchamp est placée sous la protection de saint Antoine de Padoue, patron des faïenciers. Aussi, au mois de juin, pour la fête de saint Antoine, M. Moisand donne, dans sa propriété, sur ces superbes pelouses qui entourent sa belle villa, une fête, à laquelle sont conviés tous les ouvriers de l’usine. Après une grand’messe en musique, exécutée par la Fanfare de Longchamp, un grand banquet réunit tous les ouvriers et le personnel de l’usine autour de M. Moisand et de sa famille. Une matinée artistique, où sont appelées à venir se faire entendre les plus grandes vedettes des grands théâtres de Paris : Opéra, Opéra-comique, Français, etc. , a lieu et précède un bal à grand orchestre qui clôt ces fêtes magnifiques. Une autre fête, mais de moindre importanc€e,  est donnée par la Fanfare de la Faïencerie de Longchamp pour la Sainte-Cécile.

Nous terminerons ici notre courte monographie de la Faïencerie de Longchamp en disant toutefois que ce chef d’industrie éclairé qu’est M. Gaëtan Moisand a su trouver la solution du problème social en agissant de façon à conquérir le cœur de tous ses collaborateurs, petits et grands.

Les Faïenceries de Longchamp en 1975

Les Faïenceries de Longchamp en 1975

À son départ à la retraite, en 1975, Henry Moisand dresse le bilan des perspectives des Faïenceries de Longchamp, incluant Longchamp et Casamène (carreaux). On lira ci-après qu’il a tout tenté pour mettre l’entreprise en orbite pour l’avenir, mais le destin en décida autrement!
Le 10 février 1975 – Henry Moisand
Filles de la terre et du feu, les Faïenceries de Longchamp ont pris racine depuis plus d’un siècle au cœur d’une forêt de cinq mille hectares, en ce pays bourguignon si riche de traditions. Les Faïenceries de Longchamp plongent au cœur du temps.

Leur succès et leur jeunesse racontent leur histoire. Les anciennes « Faïenceries et Tuileries de Bourgogne » (voir ancien papier à lettres), dont la production s’écoulait sur Dijon et dans un rayon de cent kilomètres, commencèrent la fabrication de faïence fine avant la guerre de 1870, pour répondre aux besoins et à la demande de tous les articles de table, de cuisson, d’ornementation, qui se multiplièrent rapidement en France à la fin du siècle dernier, avec le développement de l’habitat et l’apparition du confort.

Bientôt les tables les plus distinguées s’enorgueillissaient de ces créations originales et variées.

Les fidèles des Faïenceries de Longchamp apprécient la gamme de leurs modèles, toujours à la rencontre des tendances les plus nouvelles, des plus modernes aux plus anciennes, lignes inspirées d’une longue tradition, où comptent le travail, le goût, la patience et l’art, lignes sobres et vigoureuses, bien adaptées à leurs fonctions, où l’œil aime à se reposer, décors qui fraternisent avec nos intérieurs, épousent nos meubles, nos cuisines, et font vivre nos tables.

Mais tout se déplace, tout change dans notre société à une allure de plus en plus rapide et, dans les dernières années, nous voilà placés dans la plupart des branches devant le dilemme :
Grosse production de masse avec la concentration industrielle qui en résulte, ou production d’articles de qualité ?
Les meilleures unités de production fusionnent et se spécialisent sur de grandes séries automatisées, sous-traitant les pièces indésirables qui gênent la série, ou les imprévus, et leurs produits sont regroupés par la direction d’une nouvelle société.

LONGCHAMP N’HÉSITE PAS À CONSENTIR TOUS LES SACRIFICES NÉCESSAIRES À LA CONQUÊTE DE LA QUALITÉ.

Mais quelle orientation donner ?

Les principaux éléments de la distribution qui, traditionnellement constitués par le prix et la publicité, évoluent, et la crise profonde de l’industrie américaine les met brutalement au grand jour. En effet, l’augmentation générale et continue du niveau de vie, le développement de l’instruction et des moyens d’information influent et modifient considérablement la demande des produits de consommation agricoles et industriels.

Le PRIX et la PUBLICITÉ ne SUFFISENT PAS POUR VENDRE

Il faut ajouter :
  • La QUALITÉ,
  • La NOUVEAUTÉ, la MODE, le GOÛT, l’ORIGINALITÉ de l’article, etc…
Une tendance très nette indique la recherche par le consommateur de l’article de qualité, non seulement dans le sens de valeur d’usage, mais aussi qualité fonctionnelle, esthétique, etc…

Pour le public, ce sont encore des articles artisanaux ! Alors c’est un véritable pari que doit tenir Longchamp pour rester à la pointe du progrès technique, de la cuisson, de la mécanisation sans dissoudre, sans compromettre la valeur, la personnalité de ses collections et la qualité de ses matériaux.

Avec les progrès techniques, la sélection des matières premières, le contrôle du feu, la précision de ses fours, les artistes, les ouvriers ont désormais à leur disposition la faïence et la porcelaine qui leur permettent d’exprimer l’esprit de notre époque.

Les faïenceries de Longchamp, au premier plan, la Villa

Mais, de même que les objets de la vie courante doivent être à la fois beaux et pratiques, de même Longchamp n’oublie pas qu’il doit en être ainsi pour le site industriel, pour les ateliers qui doivent être appropriés à leur destination. Une collaboration étroite s’instaure entre techniciens, artistes, modeleurs, peintres, décorateurs, etc… Cette collaboration est devenue la nécessité de notre temps pour tenir la qualité, comme elle le fut à d’autres époques, lorsqu’au lieu de bâtir des usines, les seigneurs faisaient construire des châteaux.

L’ouvrier doit être fier de son usine, heureux d’y travailler. À l’intérieur, l’emploi de couleurs claires, une extrême propreté transforment la vie de chacun. Des expériences récentes prouvent que la qualité s’améliore lorsque l’homme prend conscience de sa dignité, de sa fierté de travailler au succès d’une marque, d’une entreprise à laquelle il collabore.

Le signataire de ces lignes, directeur général des Faïenceries de Longchamp pendant plus de quarante années, a eu la chance de partager cette reconversion complète de Longchamp avec :  
  • Monsieur Robert MOISAND, président-directeur général de LONGCHAMP S.A. (Longchamp, 21110 GENLIS). Sous la direction et l’impulsion de ce technicien averti, les usines de Longchamp ont pris un nouveau visage depuis la fin de la guerre 39-45.
Les implantations d’ateliers, les nouveaux fours, les nouvelles machines ont été étudiés minutieusement pour faire de Longchamp l’unité de production pilote toujours prête à précéder l’événement.

Tout a été sacrifié à la productivité, mais toujours en sauvegardant la souplesse qui permet d’adapter des créations originales, personnalisées de formes, couleurs, décors, et de maintenir la qualité du matériau et de sa présentation.
  • Monsieur Marcel MOISAND, directeur général de Longchamp S.A., a pris en main l’usine de CASAMÈNE (située à Besançon Casamène 25 000) pour l’orienter et la spécialiser définitivement dans la fabrication de carreaux de revêtement émaillés, unis ou décorés (sols et murs) dans des matériaux très nobles : grès, cérastone, etc…
  • Monsieur André KAYSER, fondateur du collège national d’enseignement technique de Longchamp, qu’il a dirigé pendant plus de vingt années. Après avoir mis au point le programme pédagogique et la définition des trois C.A.P. (certificats d’aptitude professionnelle : modeleurs, décorateurs, façonniers), qui ont été confirmés au Journal officiel, le collège de Longchamp a obtenu de tels résultats que toutes les branches de la Céramique française se sont réunies pour obtenir une construction nouvelle, qui va permettre de passer en 1976 à 216 élèves les effectifs qui sont limités actuellement à 75.
L’avenir de cette école est intimement lié à l’expansion des Faïenceries de Longchamp et, grâce au renouvellement des élèves à Longchamp, les Faïenceries ont l’assurance de conserver une continuelle jeunesse.
  • Monsieur Robert PICAULT, céramiste de talent, un des jeunes pionniers du centre de Vallauris, où de célèbres ateliers portent toujours son nom. Ami de toujours des Faïenceries de Longchamp, il créa une collection d’avant-garde en rustique, comme en contemporain, tournée dans ses ateliers et éditée par Longchamp, qui connaît un immense succès.
Monsieur PICAULT a pris la direction artistique de Longchamp et de Casamène depuis plusieurs années. On commence à retrouver sa forte personnalité dans la collection de carreaux de Casamène (formes et décors) et il n’est pas étranger à la progression spectaculaire de cette société dans les derniers mois.

Actuellement, Robert PICAULT peut consacrer plus de temps à la collection de Longchamp et sa collaboration est d’autant plus précieuse qu’il sait créer en fonction des possibilités des usines, du niveau de qualification de la main-d’œuvre, et suivre l’évolution des goûts et des techniques d’application.
  • Le signataire de la présente, [Henry Moisand] maire de Longchamp, a été amené, grâce au rayonnement des Faïenceries, à prendre la présidence de la Chambre syndicale française de la céramique et à fonder le Comité national des arts français de la table, qui construit actuellement à Paris le Centre international des arts de la table. Il est également président des Conseillers du Commerce extérieur de la France pour la région Bourgogne.

Histoire des Faïenceries de Longchamp

Histoire des Faïenceries de Longchamp

En 1835, un entrepreneur du bâtiment d’Auxonne, Phal, probablement séduit par la qualité des argiles du pays et par le bois abondant qui devait servir à la cuisson, fonda à Longchamp une tuilerie à la sortie du village, sur la route de Chambeire. Dans un rayon de cinq kilomètres se trouvaient d’autres fabriques (Villers-les-Pots, Premières). Elles fabriquaient la tuile bourguignonne brunie ou vernissée, parfois de la faïence.

En 1868, Robert et Marcel Charbonnier décident de se lancer. Robert a 22 ans, son frère Marcel 29 ans, lorsqu’ils rachètent au fils Phal, avec l’argent de la succession de leur père décédé un an plus tôt, les Faïenceries de Bourgogne. Leurs atouts étaient séduisants : du bois en quantité dans la forêt proche, une argile locale qui avait conduit à la création de tuileries, briqueteries et faïenceries alentour et une main-d’œuvre formée.

Parisiens, ils n’ont pu pourtant ignorer les progrès effectués au siècle précédent en termes de pâte à faïence, conduisant à la « faïence fine » mise au point en 1769 par Josiah Wedgwood. La faïence fine a conquis la France au XVIII° (Pont-aux-Chou, Creil, Montereau, etc.), au point d’être dénommée « demi-porcelaine » pour sa couleur blanche, sa texture dense, résistante et sonore mais opaque. Ingénieur Centralien, Marcel se rend d’emblée dans le Staffordshire en Angleterre, chercher le meilleur de la technologie. Il revient quelques mois plus tard assisté d’un ingénieur anglais, M. Abbington, comme cela s’est passé à Montereau un siècle plus tôt, pour lancer l’usine. Un lien très fort demeurera avec la ville de Stoke-on-Trent puisqu’en 1970, les pigments y étaient encore achetés, chez BLYTHE Colours.

La guerre de 1870 interrompt l’aventure puisque Robert est engagé volontaire. Ensuite les épreuves se succèdent dès 1873 : « un incendie considérable détruisit une partie importante de nos bâtiments. » [catalogue de 1909]. Puis c’est l’ensemble de la fabrication qui est remis en question : « Ce fut à la suite du discrédit jeté sur la faïence commune après l’Exposition de 1878, que MM. Charbonnier décidèrent de transformer leur usine et de fabriquer les faïences en renom, similaires aux produits de Lunéville, Creil, Choisy, etc… » [article Bibliothèque de Dijon, 1923] La transformation de l’usine va s’accélérer pour prendre en compte deux contraintes majeures de la fabrication de la faïence fine : le kaolin et le charbon. La composition de la pâte nécessite du kaolin et d’autres minéraux, et sa blancheur à la cuisson demande des températures de cuisson élevées que le charbon garantit mieux que le bois. Et voici donc deux atouts de proximité, matière première et énergie, qui disparaissent d’emblée !

« Dès 1881, l’usine, complètement transformée, fabriquait toute la faïence usuelle en une pâte de granit analogue à celle de la faïence anglaise et recouverte d’émail. Puis vinrent s’adjoindre les faïences d’art et l’on vit des objets en barbotine, des vases et d’autres pièces décorées par des maîtres du pinceau, sortir de l’usine de Longchamp. Et plus tard, ce fut le genre de fleurs en haut-relief peintes en couleur de barbotine avec des fonds nuancés. » [article Bibliothèque de Dijon, 1923]
Elle comptait 300 employés.

Mais, si l’usine était ainsi remise sur les rails, c’était au prix d’une situation financière très préoccupante. En avril 1880, au travers une Société en commandite par actions, les Charbonnier réunirent des capitaux extérieurs. En octobre 1881, ils créerent une S.A. au capital de 600 000 F, les Faïenceries de Bourgogne, qui sera rapidement mise en liquidation. Aidé probablement par son beau-père Jean-Charles Bercioux, Robert rachètera l’ensemble le 6 mai 1887 moyennant un prix de 70 000 F. Nul doute que cet achat s’accompagnait en outre d’un sérieux apport de trésorerie. Comparé au montant du capital initial de la société, la perte en 6 ans est impressionnante.

En 1897, Robert est élu maire de Longchamp, mandat qu’il conservera jusqu’à son décès puis qui sera confié à son fils René. C’est donc seul aux commandes que Robert présidera aux destinées des Faïenceries, et du village, jusqu’à son décès en 1905. A sa mort, son épouse devient usufruitière de toute la succession et gérante des Faïenceries, dirigées en pratique par ses fils René et Édouard, ce jusqu’en 1909 où Caroline retirera la direction de l’usine à Édouard pour la confier ensuite à son fils René et à son gendre, Marcel Joran. Tout ceci fera long feu. Les deux gendres, Marcel Joran et Gaëtan Moisand, époux d’Hélène Charbonnier, reprirent le flambeau en 1912, au travers la S.A. des Faïenceries de Longchamp. Gaëtan et sa femme Hélène, prirent rapidement l’ascendant sur Marcel.

De son côté, Édouard Charbonnier céda ses parts de Longchamp et reprit, avec l’aide de ses beaux-parents, une petite faïencerie à Salins-les-Bains, à moins de 100km de Longchamp, qu’il développa avec succès.

Pendant la Grande Guerre, Gaëtan étant mobilisé, Hélène, âgée de 28 ans, assura la direction de l’usine qui fournissait casernes et hôpitaux en vaisselle et sanitaire. Déclarée « industrie de guerre », l’usine bénéficia d’un approvisionnement régulier en charbon. A l’issue de la guerre, l’usine fût modernisée, Hélène accrut son emprise sur la création, reprenant l’atelier de décoration (plus de 100 personnes) après le décès de son directeur M. Jacquemin, artiste respecté. L’époque ne permettait pas à Hélène d’être Maire ou PDG, elle s’occupait donc des ateliers de décoration, des relations avec l’Église, des intérims difficiles en période de guerre et incarnait aussi l’indéfectible solidarité d’une mère pour tous les employés, tandis que Gaëtan sur le devant de la scène, était Maire et PDG.

Les Faïenceries eurent une période très faste dans les années 20. Gaëtan avait un talent commercial incontestable qui séduisait les acheteurs des grands magasins. Henry relate pourtant que le renouveau artistique et technique ainsi que la formation des employés, laissaient à désirer, obligeant l’entreprise à se battre sur les seuls prix de revient, au détriment de la qualité. Il faut aussi prendre en compte la disparition d’une part de marché importante, les « garnitures de toilettes » (brocs, cuvettes, fontaines, etc.) qui occupaient encore l’essentiel du catalogue de 1912. L’examen des comptes confirme cette analyse, indiquant un très fort déclin dès le début des années 30.

Henry Moisand entra à l’usine avant la seconde guerre et en pris la direction au décès de son père Gaëtan, bien diminué par une maladie, en 1945. Profondément croyant, il a repris progressivement le flambeau, avec Hélène sa mère et Robert son jeune frère, en perpétuant les valeurs de ses prédécesseurs. La jeune équipe procéda à la modernisation de l’usine. Henry fut élu maire de la commune et nommé directeur général de l’usine.

Conscient de la nécessité de former les jeunes au métier, et aux nouvelles techniques que les anciens ignoraient, avec son frère Robert, ils fondèrent le centre d’apprentissage technique, embryon du futur Lycée. Dans cette aventure, ils purent heureusement compter sur André Kayser, pédagogue profondément humaniste, pour en assurer la direction et le développement.

Délibérément ouvert, Henry ne s’est pas contenté de cet ancrage local et a cherché à entraîner les Faïenceries dans le sillage du luxe (porcelaineries, cristalleries, orfèvreries, etc..) et de la gastronomie à la française, seuls garants à ses yeux d’une dynamique durable à l’export, au travers une promotion incessante des Arts de la table. Sur le plan artistique, des efforts constants de renouveau, le recrutement de Robert Picault, artiste et industriel connu à Vallauris, les innovations, comme la porcelaine de Longchamp ou les carreaux de Casamène, permirent de rester dans la course.

Un an avant sa retraite, Henry s’est rapproché de Jean Verspieren qui avait mis un pied dans la porcelaine à Limoges en rachetant une petite porcelainerie qui est devenu Legrand un des leaders des équipementiers électriques mondiaux. L’entente entre les deux hommes s’est concrétisée par le rachat par Jean Verspieren de l’intégralité de la SA Faïenceries de Longchamp en 1975, dénouant ainsi la situation très inconfortable créée par Hélène et Gaëtan qui avaient transmis leurs actions à égalité entre leurs huit enfants, qu’ils travaillent ou non à l’usine (cinq sur huit n’y travaillaient pas…). Robert restait PDG et son frère Marcel, directeur de Casamène (Besançon), usine de carreaux florissante. A cette époque, la situation était excellente, on livrait 10 tonnes par mois de faïence aux Galeries Lafayette, par exemple. Il y avait 300 employés.

Simultanément, la première pierre du Lycée était posée et l’établissement passait sous la gestion de l’Education Nationale.

Le début des années 80 sonna pourtant l’hallali de l’usine. Robert Picault, directeur artistique prit sa retraite en 1980. Comble de malchance, Marcel Moisand directeur de Casamène décéda début 1982, Henry deux mois plus tard puis Jean Verspieren en 1983 ! La famille de ce dernier n’ayant pas souhaité continuer avec les Faïenceries, elles furent rachetées à vil prix par les Nouveaux Constructeurs (neveu de F. Mitterand) en 1985, lesquels se séparèrent de l’usine de Longchamp en 1987 pour ne garder que la « vache à lait », les carreaux de Casamène. La situation se dégrada progressivement, jusqu’à amener à une réduction d’effectifs drastique (110 employés). Celà ne suffit pas car les équipements étaient dimensionnés pour une production plus importante. Ainsi, pour faire fonctionner les deux fours tunnels, on ajoutait des wagonnets « fantômes » (vides de pièces) ! La suite ne fût qu’une longue suite d’espoirs déçus :
    • Le rachat de Longchamp par M. Higelin ne fit pas long feu, il revendit à Villeroy et Boch en 1991. Ces derniers s’intéressaient à la capacité de production de Longchamp pour réduire des délais de livraison excessifs (jusqu’à un an !). En 1994, il semblerait que Villeroy et Boch ait bénéficié de facilités pour faire revivre son site historique en ex-Allemagne de l’Est.
    • En 1997, le Directeur en place, M. Monnot se présenta comme repreneur dans la grande tradition des arts de la table de ses prédécesseurs. Bourguignon, attaché au patrimoine historique, il fit son possible pour maintenir l’activité d’une petite fabrique sur place. Un nouveau dépôt de bilan s’annonçait pourtant en 2009. Les fours tunnels furent détruits et les machines vendues. Aujourd’hui, la marque étant libre, elle a été rachetée mais il n’existe plus d’emploi ou de fabrication sur place.
    • Une étape a été manquée, celle qui aurait vu la création d’ateliers modestes (sur le modèle de Moustiers ou de Vallauris) en relation étroite avec le lycée tout proche, ainsi que l’ont fait des modeleurs-mouleurs dans leur implantation locale. Mais il est toujours temps…