Moustiers et Longchamp, une longue histoire…

Moustiers et Longchamp, une longue histoire…

« C’est à Moustiers, par un concours de circonstances providentiel, que s’établira le lien le plus sûr avec la table et la gastronomie.

En effet, Clérissy (fayencier, maître faiseur de fayence) fabrique déjà à Moustiers de très beaux plats en faïence et maîtrise admirablement à la fois le grand feu et les décors en camaïeu bleu d’une tonalité plus claire que le Rouen, couleur qui ne dépasse jamais ses limites et n’a jamais bavé sur l’émail (musée de Dijon).

L’émail de Clérissy est à la fois gras, plus léger et laisse percevoir cette terre fine moustérienne que les flammes, en la caressant, rosissent agréablement. Les pièces vibrent et sonnent plus de 20 secondes comme des cloches.

Toutes les conditions sont réunies pour recevoir les décors des vaisselles d’or et d’argent et en majorité dans leur dimension, c’est-à-dire 220 à 250 millimètres. C’est la dimension de l’assiette et, du même coup, les premières assiettes sont en faïence.

Bérain, ciseleur à l’origine, devenu architecte ordinaire du roi Louis XIV, possède tous les « poncifs » des ciseleurs et des blasons, il les transmet à Clérissy, qui a donné à la faïence pendant les 25 dernières années du Grand Siècle ses plus beaux titres de noblesse. Clérissy sera anobli par le roi (Comte de Roumoules).

Ainsi s’établira le premier lien solide entre la gastronomie et la faïence.

Pendant ces 25 années, les maîtresses de maison de nos châteaux et de nos hôtels, qui reçoivent beaucoup, ont apporté de plus en plus de raffinement à la table et à leurs menus d’une plantureuse abondance. Elles réalisent très vite que la grâce de l’accueil, sans négliger certes la qualité de la chère, peuvent passionner et épanouir une maîtresse de maison avertie. Le contact qu’elles ont gardé avec Moustiers, grâce à Bérain, permet d’établir dès1738 le deuxième lien définitif entre la faïence et la gastronomie :

En effet, Olérys revient d’Espagne (Alcora) avec une très belle palette polychrome (jaune, orange, jaune citron, ocre associé au bleu et vert). Il possède un talent prodigieux de décorateur et s’attache à faire vivre la table par ses décors à guirlandes de fleurs et à médaillons, par ses fameux grotesques et combien d’autres motifs tellement simples et naïfs qu’ils trouvent naturellement leur place à table (fleurs des champs, papillons etc…). Ils expriment tous une grande allégresse de mouvement.

Si j’ai insisté sur les faïences de Moustiers, c’est parce qu’elles sont d’une qualité exceptionnelle de matériaux : sonorité, émail blanc laiteux d’un éclat incomparable et surtout qu’elles représentent les créations les plus originales de décors pensés et conçus pour la table française et sa gastronomie. » [Henry Moisand, intervention à la Commanderie des Cordons Bleus 1966].

Voir sur le site www.académie-de-moustiers un résumé illustré des principaux décors : https://www.academie-de-moustiers.com/les-decors-principaux.html

Henry Moisand et Moustiers
À la suite de problèmes cardiaques, sur le conseil de son médecin, Henry Moisand et son épouse Paule décident de quitter leur lieu de vacances en Haute-Savoie pour une région moins montagneuse. Aussi, à partir de 1969, descendent-ils par la route Napoléon, se passionnant successivement pour Embrun, puis Sisteron et, enfin, Moustiers-Sainte-Marie, magnifique village dans son écrin de rochers, au pied des Alpes de Haute-Provence.

Le coup de foudre est immédiat. Tout est là. La beauté biblique des paysages de Provence, l’histoire, celle de la faïence de Moustiers, dont la mémoire a été sauvée par Marcel Provence, et même celle de la famille, qui se découvre des ancêtres originaires du lieu. Pourtant, à quelques exceptions près, la production du village se limite trop souvent à satisfaire les touristes de passage : cigales-cendriers, objets en terre cuite, etc. sans beaucoup de rapport avec le Moustiers du XVIII° siècle.

En quelques années, sous son impulsion, plusieurs jeunes de Moustiers partent au lycée de Longchamp parfaire se former. Ils reviendront, parfois avec un compagnon ou une compagne de promotion, incarner le renouveau de la faïence de Moustiers, dans le respect de ses traditions du XVI° siècle au XVIII° siècle. Les ateliers se développent, Lallier, Bondil, Saint-Michel, etc.

Parmi les représentants de cette fièvre de renouveau créatif, citons les ateliers de Segriès (devenus Ateliers du Soleil). Installés à côté de l’austère beauté d’un monastère désaffecté, en pleine nature, ces ateliers incarnent ce qu’Henry Moisand avait pressenti, à savoir l’avenir de la faïence de qualité. Lui qui avait peiné toute sa carrière à fédérer les industries des arts de la table et les ateliers artisanaux, voire artistiques, voit surgir le modèle économique du futur. Un atelier d’une quinzaine de personnes, un catalogue ancré dans la tradition, augmenté de nombreuses innovations, une exigence constante d’extrême qualité, une vision mondiale de la commercialisation (exportations aux USA). C’est bien ce qu’il avait souvent décrit étant comme l’avenir de la faïence de qualité, à côté de la production de masse.
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