Catalogues des Faïenceries
De 1868 à 1920, les Faïenceries de Longchamp ont édité des catalogues dont la vocation était de présenter les produits et leurs tarifs. Il est probable que le rythme de parution de ces catalogues ait été annuel, à compter de 1868 (date de l’acquisition de la Faïencerie par les frères Charbonnier et jusqu’à la 1ère guerre mondiale.
Par un heureux concours de circonstances, Gaëtan Moisand (le second) a pu avoir accès à plusieurs d’entre eux. Les feuilleter les uns après les autres, c’est une bonne manière de parcourir l’histoire de la Faïencerie. C’est aussi, pour les collectionneurs, une occasion de situer ce que l’on possède ou ce que l’on achète ( les catalogues de 1909 et 1912 sont les plus précieux).
Le catalogue de 1874
Qui pouvait imaginer découvrir un catalogue aussi ancien : 1874, c’est six ans à peine après l’arrivée des Charbonnier à Longchamp.
Le catalogue est celui de la “Manufacture de Faïence de Longchamp”. Sous cet intitulé, se trouve la mention “Charbonnier Frères” : c’est la première période de l’histoire de la Faïencerie Charbonnier-Moisand, elle commence avec le rachat de la Faïencerie par les frères Robert et Marcel Charbonnier à Mr Phal le 6 août 1868.
1874, c’est six ans à peine après l’arrivée des Charbonnier à Longchamp. Le catalogue est celui de la “Manufacture de Faïence de Longchamp”. Sous cet intitulé, se trouve la mention “Charbonnier Frères” : c’est la première période de l’histoire de la Faïencerie Charbonnier-Moisand, elle commence avec le rachat de la Faïencerie par les frères Robert et Marcel Charbonnier à Mr Phal le 6 août 1868.
L’editorial du 1er janvier 1874 réserve une surprise :
“ Un incendie considérable détruisit l’année dernière une partie importante de nos bâtiments. Nous avons pu néanmoins continuer à fabriquer un peu sous des abris provisoires, de façon à maintenir autant que possible nos assortiments. Mais malgré des sacrifices importants, nous n’avons pu satisfaire autant que nous l’aurions désiré les personnes qui voulaient bien nous adresser des demandes. Aujourd’hui notre établissement est rétabli, la partie neuve est reconstruite avec les améliorations qui répondent aux besoins actuels et nous espérons que vous voudrez bien nous accorder votre confiance comme par le passé….”
Bien que dénommée Manufacture de Faïence, l’usine des Charbonnier fabrique encore en 1874 des produits très traditionnels que l’on s’attendrait plutôt à voir sortir du four d’une poterie. Certes, quelques produits sont émaillés et quelques-uns ne le sont que partiellement : les cafetières sont ainsi « blanc dedans » et « brun dehors », elles sont de plus dénommées « terres à feu », ce qui laisse entendre peut-être qu’elles sont en argile brun résistant à la chaleur. Même chose pour les coquelles (ou cocottes).
Les soupières ne sont pas émaillées, à l’exception d’une seule dite « forme porcelaine », présentée comme pouvant être blanche, bleue ou peinte.
On peut découvrir d’autres caractéristiques de la Faïencerie dans son premier âge : un nombre réduit de produits ; l’absence de « services de table » ( il y a certes 5 formes d’assiettes, les « calottes », brunes, blanches ou peintes ; une assiette percée à fromages ; 3 formes de saladiers et 5 formes de soupières, mais on est loin de services de table complets, aux formes et décors différenciés); la prédominance des produits autres que ceux de la table : les bures à huile, les pots à soupe, les cruches, les écuelles et les bols, les pots de chambre classiques et les polonais, etc.
En 1874, les Faïenceries de Longchamp ne sont pas encore passée en 1874 à la production d’une faïence fine. Pourtant selon la légende, Marcel Charbonnier serait parti en Angleterre dès l’acquisition de la Faïencerie en 1868 et serait revenu quelques mois plus tard pour mettre en œuvre à Longchamp les techniques modernes de composition de la terre de faïence, avec un ingénieur anglais M. Abbington. Il s’agissait de produire une faïence fine, à partir d’une composition à base de feldspath et du kaolin, pour la rendre plus blanche et plus résistante. Ce sera la fameuse « terre de fer » sous son appellation commerciale.
Mais tout ceci a pris du temps, Robert s’est engagé volontaire à la guerre de 1870, un incendie a ravagé une partie de l’usine en 1874 et, enfin, la mise en œuvre des nouvelles techniques a été certainement compliquée (approvisionnement des matières premières, essais, construction de fours, introduction de la gravure et de la photocrosie dans les décors, formation du personnel, etc.). C’est une révolution qui est menée tambour battant comme l’indique l’article [2020-06-06-article-histoire-1923-Longchamp] :
« Dès 1881, l’usine, complètement transformée, fabriquait toute la faïence usuelle en une pâte de granit analogue à celle de la faïence anglaise et recouverte d’émail. Puis vinrent s’adjoindre les faïences d’art et l’on vit des objets en barbotine, des vases et d’autres pièces décorées par des maîtres du pinceau, sortir de l’usine de Longchamp. »
Le catalogue de 1909
Bien que publié 4 ans après la mort de Robert Charbonnier, le catalogue 1909 affiche encore son nom et sa qualité de « propriétaire ». Tout semble figé comme si la succession n’avait pas encore commencé !Le catalogue de 1909 est intéressant à plus d’un titre, car il présente de façon exhaustive toute la production de la Faïencerie et donne une idée assez précise de la production de la 1ère décennie du XX° siècle. Il fournit de plus des informations précieuses sur la répartition de la production entre les grandes catégories d’objets. La part des produits autres que ceux entrant sous le libellé « services de table » est en effet prépondérante. Ils représentent 15 pages du catalogue quand les services n’en occupent que 5.
Les garnitures de toilette : le broc et la cuvette de plusieurs dimensions, le seau, le porte-savon, le bain de pied, le vase de nuit sont déclinés en 11 formes et 11 décors (dont 8 en impression et 3 peints). Les vases, vasques, cache-pots et garnitures de cheminée sont présentés avec une extraordinaire variété de formes et de décors.

Les services de table sont produits sous 12 formes (Cannelé, Renaissance, Pothuau, Feston, Argent, Moscou, Dupleix, Tokio, Octogone, Martha, Henri II, Dubarry) et 60 décors imprimés ou coloriés sous émail. La plupart des décors ne sont déclinés que sous une seule forme. Par contre les formes sont proposées avec plusieurs décors. Ainsi la forme la plus commune, Renaissance, est utilisée sur 10 décors différents, dont Exotique, et Donjon en imprimé et Villa en colorié, la forme Dubarry sur 2 : Trianon et La Guérinière.
Citons parmi les décors « coloriés sous émail » : Aubépines, Anémones, Callot, la Guerinière, Rouennais, Saxe, Sylvia, Trianon. Et parmi les décors imprimés : Donjon, Exotique, Louis XVI, Lilas, Sapho, Velléda, Veneur.
Le catalogue de 1912
C’est un catalogue très complet, plus étoffé que le précédent, parce que la tarification y est plus détaillée.
Les garnitures de toilettes et les pièces dites « artistiques » (vases, vasques, garnitures de cheminée, …) y ont la part belle.
Si les formes et décors des services de table évoluent peu d’un catalogue à l’autre, on remarque deux disparitions (la forme Octogone avec son décor Rouen impression et la forme Tokyo avec 2 décors qui disparaissent également) et une nouveauté : la forme Limoges.
Outre ceux déjà cités, quelques décors ont disparu : le Louis XVI, l’Aubépine, le Cyclamen, le Sapho. Mais in fine, le nombre de décors est toujours aussi impressionnant : 30 en impression et 25 coloriés sous émail.
Parmi les nouveaux décors, le Moustiers mérite une mention particulière, car il connaîtra une fortune durable tout au long du XXème siècle, sous ce nom et sous d’autres encore (Viry, Olérys,…).
Au-delà de sa vocation première (présenter la collection et les prix), le catalogue de 1912 permet de suivre l’évolution de la Faïencerie dans sa gouvernance. Cette fois, ce n’est plus comme en 1909 Robert Charbonnier qui est le propriétaire, mais « Veuve Robert Charbonnier et Cie ». La crise a eu pour conséquence d’éloigner les fils de leur mère, c’est elle désormais la propriétaire . Le « …et Cie » laisse penser toutefois qu’elle n’est pas seule propriétaire, mais qu’elle partage la propriété de l’usine, avec tous ses enfants ou peut-être avec ses seules filles Juliette Joran et Hélène Moisand, épouses des « gendres » qui ont provoqué le départ des fils (Edouard pour la Faïencerie de Salins, qu’il rachète en 1912 précisément).
Le complément du catalogue 1912
On ne peut guère parler de catalogue concernant ce document, tant il est de taille modeste : 3 pages seulement.
Il s’intitule « dernières créations », c’est probablement un complément du catalogue 1912, publié au début de l’année 1913.
En 1ere page, 3 formes de services de tables sont présentées , les formes Argent, Limoges et Alise. Seule cette dernière est une véritable création. En 2ème page, figurent 4 formes nouvelles de garnitures de toilette, dont la forme Hélèna, en hommage à Hélène Charbonnier Moisand.
Mais c’est la mention en 1ère page du nouveau propriétaire, la Société Anonyme des Faïenceries de Longchamp, qui retient l’attention. Les administrateurs-délégués en sont Marcel Joran et Gaëtan Moisand. Pour bien marquer la continuité avec le passé, il est souligné que tous deux sont « gendres de Robert Charbonnier, ancien propriétaire et fondateur » .
Le 5 décembre 1912, en effet, a été créé cette société nouvelle, qui reprend l’activité de la Faïencerie. Pour ce faire, les épouses des gendres, Juliette et Hélène, font apport de l’ensemble des actifs permettant de poursuivre l’exploitation de la Faïencerie (fonds de commerce, biens immobiliers, machines et matériels, stocks, …) Cet apport évalué à 300 000 F est complété par un apport en numéraire de 50 000 F de 7 personnes dont les gendres, le tout constituant le capital initial de la Société. Les deux sœurs détiennent ainsi à elles deux 600 des 700 actions de la SA des Faïenceries de Longchamp.
On peut supposer qu’avant la constitution de cette société, Caroline a désintéressé d’une façon ou d’une autre (non connue à ce jour) son fils René et sa fille Henriette. Edouard, quant à lui, a déjà renoncé à la succession de son père moyennant une indemnité forfaitaire de 25 000 F.
Le catalogue de prestige de 1920
Sa taille est vraiment modeste, à peine au-delà de celle d’une carte postale ; son volume également, 9 planches seulement, ne présentant qu’une vue très partielle de la production de la Faïencerie à la date de sa parution. Et pas de tarif, pourtant toujours présent dans chacun des catalogues connus de la Faïencerie.
En photo de titre de cet article sur les catalogues, la reproduction de la page de couverture de ce mini-catalogue ; immédiatement ci-dessus et ci-dessous, 3 des des 9 planches.
On peut le présenter comme un prospectus commercial ou un objet de prestige, il utilise un papier de qualité et une technique irréprochable d’impression de photographies dont certaines en couleur.
Sur les 9 planches, 4 présentent des services de table, 4 des garnitures de toilette, 1 des vases, vasques et porte-parapluies.
Sur une des planches, deux décors nous sont familiers, le Callot et le Rouennais, sur la forme la plus utilisée de l’histoire de la Faïencerie, la forme Argent. Sur une autre planche, une formes déjà ancienne, la forme Martha avec ce superbe décor, le Velars, qui est de création récente.
Les garnitures de toilette conservent une place importante puisqu’elles occupent autant de planches que les services de table. Ce sont sans doute les dernières années des cuvettes et des brocs de toilette, car l’eau courante commence à se généraliser en France. On peut imaginer les difficultés pour la Faïencerie lorsque les ventes de garnitures de toilette ont commencé à se tarir pendant l’entre-deux-guerres.
Ce catalogue est difficile à dater. Le graphisme des lettres de la page de couverture, d’esprit Art Nouveau (proches des lettres des stations de métro Guimard ou encore des affiches de Mucha) peut laisser penser à une parution entre 1895 et 1905. Mais les pièces de faïence avec des formes et des décors nouveaux font pencher pour une parution plus tardive, entre 1920 et 1930. En effet, les décors des cuvettes et brocs de toilette sont très représentatifs de l’Art Déco, de l’entre-deux-guerres (formes Beauvais et Suzy avec un décor Vapo).
La forme Imperator avec son décor Carquois confirme cette hypothèse. C’est une forme originale avec un décor assez classique. Un modèle de broc Imperator/Carquois figure dans les collections de la Villa de Longchamp, sa « signature » au dos est caractéristique des années 1920-1930.
L’absence de catalogues après 1912 (le dernier présenté est plus un prospectus qu’un catalogue comme nous l’avons vu) peut laisser à penser que cette pratique s’est tarie avec l’arrivée des nouveaux dirigeants. Les moeurs commerciales ont dû changer après la Grande Guerre et l’édition de catalogues avec des prix fixes pendant un an n’est plus dans l’air du temps à une époque d’instabilité monétaire. De plus, les Grands Magasins prennent une place déterminante dans la clientèle de la Faïencerie, avec des tarifs distincts de ceux appliqués à la clientèle traditionnelle des grossistes régionaux.
Notons que la quasi-totalité des décors connus, et des estampilles associées, du temps de Robert Charbonnier, ont été répertoriés. Jean Rosen en a fait une publication :
http://www.napovillers.com/