Histoire des Faïenceries de Longchamp

Histoire des Faïenceries de Longchamp

En 1835, un entrepreneur du bâtiment d’Auxonne, Phal, probablement séduit par la qualité des argiles du pays et par le bois abondant qui devait servir à la cuisson, fonda à Longchamp une tuilerie à la sortie du village, sur la route de Chambeire. Dans un rayon de cinq kilomètres se trouvaient d’autres fabriques (Villers-les-Pots, Premières). Elles fabriquaient la tuile bourguignonne brunie ou vernissée, parfois de la faïence.

En 1868, Robert et Marcel Charbonnier décident de se lancer. Robert a 22 ans, son frère Marcel 29 ans, lorsqu’ils rachètent au fils Phal, avec l’argent de la succession de leur père décédé un an plus tôt, les Faïenceries de Bourgogne. Leurs atouts étaient séduisants : du bois en quantité dans la forêt proche, une argile locale qui avait conduit à la création de tuileries, briqueteries et faïenceries alentour et une main-d’œuvre formée.

Parisiens, ils n’ont pu pourtant ignorer les progrès effectués au siècle précédent en termes de pâte à faïence, conduisant à la « faïence fine » mise au point en 1769 par Josiah Wedgwood. La faïence fine a conquis la France au XVIII° (Pont-aux-Chou, Creil, Montereau, etc.), au point d’être dénommée « demi-porcelaine » pour sa couleur blanche, sa texture dense, résistante et sonore mais opaque. Ingénieur Centralien, Marcel se rend d’emblée dans le Staffordshire en Angleterre, chercher le meilleur de la technologie. Il revient quelques mois plus tard assisté d’un ingénieur anglais, M. Abbington, comme cela s’est passé à Montereau un siècle plus tôt, pour lancer l’usine. Un lien très fort demeurera avec la ville de Stoke-on-Trent puisqu’en 1970, les pigments y étaient encore achetés, chez BLYTHE Colours.

La guerre de 1870 interrompt l’aventure puisque Robert est engagé volontaire. Ensuite les épreuves se succèdent dès 1873 : « un incendie considérable détruisit une partie importante de nos bâtiments. » [catalogue de 1909]. Puis c’est l’ensemble de la fabrication qui est remis en question : « Ce fut à la suite du discrédit jeté sur la faïence commune après l’Exposition de 1878, que MM. Charbonnier décidèrent de transformer leur usine et de fabriquer les faïences en renom, similaires aux produits de Lunéville, Creil, Choisy, etc… » [article Bibliothèque de Dijon, 1923] La transformation de l’usine va s’accélérer pour prendre en compte deux contraintes majeures de la fabrication de la faïence fine : le kaolin et le charbon. La composition de la pâte nécessite du kaolin et d’autres minéraux, et sa blancheur à la cuisson demande des températures de cuisson élevées que le charbon garantit mieux que le bois. Et voici donc deux atouts de proximité, matière première et énergie, qui disparaissent d’emblée !

« Dès 1881, l’usine, complètement transformée, fabriquait toute la faïence usuelle en une pâte de granit analogue à celle de la faïence anglaise et recouverte d’émail. Puis vinrent s’adjoindre les faïences d’art et l’on vit des objets en barbotine, des vases et d’autres pièces décorées par des maîtres du pinceau, sortir de l’usine de Longchamp. Et plus tard, ce fut le genre de fleurs en haut-relief peintes en couleur de barbotine avec des fonds nuancés. » [article Bibliothèque de Dijon, 1923]
Elle comptait 300 employés.

Mais, si l’usine était ainsi remise sur les rails, c’était au prix d’une situation financière très préoccupante. En avril 1880, au travers une Société en commandite par actions, les Charbonnier réunirent des capitaux extérieurs. En octobre 1881, ils créerent une S.A. au capital de 600 000 F, les Faïenceries de Bourgogne, qui sera rapidement mise en liquidation. Aidé probablement par son beau-père Jean-Charles Bercioux, Robert rachètera l’ensemble le 6 mai 1887 moyennant un prix de 70 000 F. Nul doute que cet achat s’accompagnait en outre d’un sérieux apport de trésorerie. Comparé au montant du capital initial de la société, la perte en 6 ans est impressionnante.

En 1897, Robert est élu maire de Longchamp, mandat qu’il conservera jusqu’à son décès puis qui sera confié à son fils René. C’est donc seul aux commandes que Robert présidera aux destinées des Faïenceries, et du village, jusqu’à son décès en 1905. A sa mort, son épouse devient usufruitière de toute la succession et gérante des Faïenceries, dirigées en pratique par ses fils René et Édouard, ce jusqu’en 1909 où Caroline retirera la direction de l’usine à Édouard pour la confier ensuite à son fils René et à son gendre, Marcel Joran. Tout ceci fera long feu. Les deux gendres, Marcel Joran et Gaëtan Moisand, époux d’Hélène Charbonnier, reprirent le flambeau en 1912, au travers la S.A. des Faïenceries de Longchamp. Gaëtan et sa femme Hélène, prirent rapidement l’ascendant sur Marcel.

De son côté, Édouard Charbonnier céda ses parts de Longchamp et reprit, avec l’aide de ses beaux-parents, une petite faïencerie à Salins-les-Bains, à moins de 100km de Longchamp, qu’il développa avec succès.

Pendant la Grande Guerre, Gaëtan étant mobilisé, Hélène, âgée de 28 ans, assura la direction de l’usine qui fournissait casernes et hôpitaux en vaisselle et sanitaire. Déclarée « industrie de guerre », l’usine bénéficia d’un approvisionnement régulier en charbon. A l’issue de la guerre, l’usine fût modernisée, Hélène accrut son emprise sur la création, reprenant l’atelier de décoration (plus de 100 personnes) après le décès de son directeur M. Jacquemin, artiste respecté. L’époque ne permettait pas à Hélène d’être Maire ou PDG, elle s’occupait donc des ateliers de décoration, des relations avec l’Église, des intérims difficiles en période de guerre et incarnait aussi l’indéfectible solidarité d’une mère pour tous les employés, tandis que Gaëtan sur le devant de la scène, était Maire et PDG.

Les Faïenceries eurent une période très faste dans les années 20. Gaëtan avait un talent commercial incontestable qui séduisait les acheteurs des grands magasins. Henry relate pourtant que le renouveau artistique et technique ainsi que la formation des employés, laissaient à désirer, obligeant l’entreprise à se battre sur les seuls prix de revient, au détriment de la qualité. Il faut aussi prendre en compte la disparition d’une part de marché importante, les « garnitures de toilettes » (brocs, cuvettes, fontaines, etc.) qui occupaient encore l’essentiel du catalogue de 1912. L’examen des comptes confirme cette analyse, indiquant un très fort déclin dès le début des années 30.

Henry Moisand entra à l’usine avant la seconde guerre et en pris la direction au décès de son père Gaëtan, bien diminué par une maladie, en 1945. Profondément croyant, il a repris progressivement le flambeau, avec Hélène sa mère et Robert son jeune frère, en perpétuant les valeurs de ses prédécesseurs. La jeune équipe procéda à la modernisation de l’usine. Henry fut élu maire de la commune et nommé directeur général de l’usine.

Conscient de la nécessité de former les jeunes au métier, et aux nouvelles techniques que les anciens ignoraient, avec son frère Robert, ils fondèrent le centre d’apprentissage technique, embryon du futur Lycée. Dans cette aventure, ils purent heureusement compter sur André Kayser, pédagogue profondément humaniste, pour en assurer la direction et le développement.

Délibérément ouvert, Henry ne s’est pas contenté de cet ancrage local et a cherché à entraîner les Faïenceries dans le sillage du luxe (porcelaineries, cristalleries, orfèvreries, etc..) et de la gastronomie à la française, seuls garants à ses yeux d’une dynamique durable à l’export, au travers une promotion incessante des Arts de la table. Sur le plan artistique, des efforts constants de renouveau, le recrutement de Robert Picault, artiste et industriel connu à Vallauris, les innovations, comme la porcelaine de Longchamp ou les carreaux de Casamène, permirent de rester dans la course.

Un an avant sa retraite, Henry s’est rapproché de Jean Verspieren qui avait mis un pied dans la porcelaine à Limoges en rachetant une petite porcelainerie qui est devenu Legrand un des leaders des équipementiers électriques mondiaux. L’entente entre les deux hommes s’est concrétisée par le rachat par Jean Verspieren de l’intégralité de la SA Faïenceries de Longchamp en 1975, dénouant ainsi la situation très inconfortable créée par Hélène et Gaëtan qui avaient transmis leurs actions à égalité entre leurs huit enfants, qu’ils travaillent ou non à l’usine (cinq sur huit n’y travaillaient pas…). Robert restait PDG et son frère Marcel, directeur de Casamène (Besançon), usine de carreaux florissante. A cette époque, la situation était excellente, on livrait 10 tonnes par mois de faïence aux Galeries Lafayette, par exemple. Il y avait 300 employés.

Simultanément, la première pierre du Lycée était posée et l’établissement passait sous la gestion de l’Education Nationale.

Le début des années 80 sonna pourtant l’hallali de l’usine. Robert Picault, directeur artistique prit sa retraite en 1980. Comble de malchance, Marcel Moisand directeur de Casamène décéda début 1982, Henry deux mois plus tard puis Jean Verspieren en 1983 ! La famille de ce dernier n’ayant pas souhaité continuer avec les Faïenceries, elles furent rachetées à vil prix par les Nouveaux Constructeurs (neveu de F. Mitterand) en 1985, lesquels se séparèrent de l’usine de Longchamp en 1987 pour ne garder que la « vache à lait », les carreaux de Casamène. La situation se dégrada progressivement, jusqu’à amener à une réduction d’effectifs drastique (110 employés). Celà ne suffit pas car les équipements étaient dimensionnés pour une production plus importante. Ainsi, pour faire fonctionner les deux fours tunnels, on ajoutait des wagonnets « fantômes » (vides de pièces) ! La suite ne fût qu’une longue suite d’espoirs déçus :
    • Le rachat de Longchamp par M. Higelin ne fit pas long feu, il revendit à Villeroy et Boch en 1991. Ces derniers s’intéressaient à la capacité de production de Longchamp pour réduire des délais de livraison excessifs (jusqu’à un an !). En 1994, il semblerait que Villeroy et Boch ait bénéficié de facilités pour faire revivre son site historique en ex-Allemagne de l’Est.
    • En 1997, le Directeur en place, M. Monnot se présenta comme repreneur dans la grande tradition des arts de la table de ses prédécesseurs. Bourguignon, attaché au patrimoine historique, il fit son possible pour maintenir l’activité d’une petite fabrique sur place. Un nouveau dépôt de bilan s’annonçait pourtant en 2009. Les fours tunnels furent détruits et les machines vendues. Aujourd’hui, la marque étant libre, elle a été rachetée mais il n’existe plus d’emploi ou de fabrication sur place.
    • Une étape a été manquée, celle qui aurait vu la création d’ateliers modestes (sur le modèle de Moustiers ou de Vallauris) en relation étroite avec le lycée tout proche, ainsi que l’ont fait des modeleurs-mouleurs dans leur implantation locale. Mais il est toujours temps…
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